Dans quel monde vit-on ? Quelques aspects de l’impérialisme en 2021

Cet article est tiré de la version papier de la Cause du Peuple de Mai-Juin 2021, disponible ici.

Pour changer les choses, pour transformer le monde, il faut comprendre la manière dont il fonctionne. Il faut savoir à quelle époque nous vivons, quels sont les traits essentiels de cette époque, et comment on en est arrivés là. Un aspect important de cette recherche, c’est l’économie. Nos vies sont liées à l’économie : nos emplois, nos comptes en banque, nos lieux de vie… dépendent tous de l’économie mondiale. Lorsqu’elle pique du nez, on perd notre travail, on se retrouve encore plus pauvres qu’avant, et des masses de personnes sont même mises à la rue. C’est ce qu’a prouvé la dernière grande crise financière de 2007-8, où des familles entières ont été virées de leurs maisons car elles ne pouvaient pas rembourser leurs emprunts.

Depuis plus de 100 ans, nous vivons à l’époque de l’impérialisme. L’impérialisme, c’est le capitalisme qui a atteint la planète entière : il n’existe pas de pays qui ne soit pas intégré au marché mondial. C’est un équilibre rapace, pourri, instable, qui entraîne l’exploitation de pays entiers par de grandes puissances, et où la concurrence entre ces puissances tend à la guerre. On le voit aujourd’hui avec les tensions entre les USA et la Chine, par exemple.

La nature de l’impérialisme n’a pas changé en 2021. Mais depuis les années 1980, il s’est déroulée une accélération de la décomposition de l’impérialisme. Celui-ci est entré dans une crise générale, et tous ses aspects sont devenus, pour ainsi dire, enflés comme des boutons d’acné. Nous voyons le chômage massif, la pauvreté qui subsiste dans tous les pays, la lutte contre la montée des prix, la crise du logement, la défense acharnée des marchés, les crises bancaires, financières, politiques, sociales, environnementales… se multiplier. Tout ça alors que le monde n’a jamais été aussi riche ! Alors, qu’est-ce qui a changé ? C’est ce que nous allons brièvement expliquer ici. Cet article n’ira pas dans le détail, et présentera des concepts parfois un peu techniques, mais son objectif est de permettre une compréhension correcte du monde dans lequel on vit.

Les nouveaux outils de l’impérialisme : approfondissement de la crise du capitalisme

Au début du 20ème siècle, l’économie capitaliste est entrée dans une nouvelle ère. Son niveau de développement atteignait toute la planète, avec des pays développés et colonisateurs, et des colonies exploitées. Dans les pays au capitalisme développé, le capital des banques et celui des industries était devenu lié en toute chose, ce qui veut dire que les gigantesques entreprises industrielles avaient besoin des gigantesques banques pour faire du profit, et vice versa. Leurs capitaux étaient devenus les deux faces de la même pièce : le capital financier. De grandes entreprises se sont constituées, pour dominer les marchés : des monopoles. Les pays développés se sont mis à exporter leur capital, car ils ne trouvaient pas de débouchés dans leur propre pays. Dans les colonies et les semi-colonies (les pays formellement « indépendants » mais dominés, comme aujourd’hui de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique Latine ou d’Asie), cela a développé un capitalisme bureaucratique parasitaire, qui organise la misère au profit des investissements impérialistes. Les capitalistes se sont mis à se battre pour le partage du monde, et cela a abouti aux deux guerres mondiales. Tout ceci, c’est l’impérialisme.

Depuis, ce capitalisme financier a approfondi sa domination. Tout d’abord, il faut comprendre le rôle de la finance. Elle était déjà importante avant 1980, mais elle a pris une place majeure. La finance, c’est l’activité qui permet de fournir l’argent pour une opération économique. Par exemple, faire un emprunt pour monter une entreprise, c’est de la finance. Les marchés financiers, les « bourses » comme on les appelle, sont des marchés sur lesquels ces capitaux s’échangent en grande quantité. C’est une activité essentielle de l’économie du monde d’aujourd’hui.

Les actifs financiers (c’est-à-dire les produits que l’on peut acheter sur les marchés financiers, les bourses comme le CAC 40) ont explosé en valeur entre 1980 et aujourd’hui. Ces possessions financières, détenues par des immenses fonds d’investissement et des grandes familles de rentiers, re-présentent plusieurs fois la valeur produite chaque année dans le monde. C’est un stock massif.

En plus de cela, ces marchés financiers se sont transformés : dans un objectif de rentabilité, ils ont été dérégulés, désintermédiés et complexifiés.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

D’abord : la dérégulation. Jusqu’aux années 1980, marchés, échanges et flux de capitaux étaient très régulés, taxés, interdits dans certains cas. C’était une manière pour les États de contrôler le jeu impérialiste pour éviter les crises. Mais après les secousses des années 1970 (deux chocs pétroliers, montée des prix et du chômage dans les pays riches), une vague de dérégulation a eu lieu. Grâce à cela, les marchés financiers sont des places encore plus dominantes de l’économie mondiale. Ils peuvent se structurer comme ils l’entendent, effectuer les investissements qu’ils souhaitent, afin d’avoir le plus grand profit. Dans certains pays, comme le Royaume-Uni ou le Luxembourg, cela a aboutit à une place énorme de la finance dans l’économie.

Ensuite : la désintermédiation. Derrière ce terme barbare, il y a une réalité de l’économie. Pour se financer, les entreprises reposent en général sur une source principale : les prêts de la banque. Sans ça, pas de capital. Cela est particulièrement vrai pour les petites entreprises : combien d’entre elles dépendent d’un emprunt pour survivre, et ont le couteau sous la gorge pour le rembourser ? A travers ces emprunts, les banques contrôlent en fait ces capitaux, et peuvent les saisir s’il n’y a pas de remboursement. Ce fonctionnement, c’est l’intermédiation. Depuis les années 80, la « désintermédiation » se développe. C’est-à-dire la dépendance directe des entreprises aux marchés financiers pour se financer. Les banques commerciales laissent la place aux banques d’investissement. Il y a de moins en moins « d’intermédiaires » pour se financer (les marchés sont dématérialisés, les transactions coûtent de moins en moins cher), on fait directement appel aux marchés financiers. Cela renforce encore la concentration du capital financier : il est de moins en moins divisé entre un nombre important de mains, et circule directement à travers le marché.

Enfin : la complexification. Les marchés financiers, jusqu’en 1980, se composaient surtout d’actifs « traditionnels » dont les noms sont plutôt connus : « actions, obligations, matières premières, changes ». L’ensemble des transactions sur les marchés se faisaient avec ces quelques actifs. Mais à partir des années 1980, des « produits dérivés » sont apparus. Ils sont, comme leur nom l’indique, des dérivés des actifs qu’on a cité ci-dessus. Il y en aujourd’hui un grand nombre. Ils permettent aux grands gestionnaires de capitaux de moduler leurs risques, de récupérer le meilleur investissement, de partager leurs investissements entre des titres risqués et d’autres peu risqués… Par exemple, les « subprimes », qui sont des emprunts risqués sur le marché de l’immobilier, sont intégrés au marché des produits dérivés. Ils ont été à l’origine de la crise financière de 2007-2008, qui a touché le monde entier. Cette complexification permet d’aller chercher le profit dans le moindre recoin, même avec des techniques prédatrices (les personnes qui avaient souscrit à des emprunts « subprimes » ont par exemple souvent été jetées dehors quand elles n’ont pas pu rembourser leur maison). C’est une preuve de la crise de l’impérialisme : des techniques de plus en plus avancées sont mises en place pour gratter la moindre miette de profit avec un risque le plus faible possible.

Des nouveaux acteurs ? A quoi servent-ils ?

Voilà trois exemples de transformation des marchés financiers dans l’économie du monde d’aujourd’hui. Mais en plus de ces aspects, des acteurs sont apparus depuis les années 80, et ils tiennent une place importante. Nous n’allons pas ici tous les présenter, ou expliquer en détail leur rôle, car ce serait très long. Mais nous pouvons parler rapidementdes Private Equity (en français « capital-investissement ») et des Hedge Funds (en français « fonds spéculatifs »). Ces deux industries au noms barbares sont en fait des gigantesques monopoles de gestion de capitaux. Les Private Equity, comme le groupe américain Blackstone, et les fonds spéculatifs assurent des rentabilités à des investissements grâce à des stratégies financières modernes. Par exemple, les Private Equity investissent dans des entreprises, avec pour objectif de revendre leurs parts avec un gros profit à la clé. Les entreprises de Private Equity nomment l’équipe dirigeante de l’entreprise, l’orientent vers l’issue la plus profitable sur 5 ou 10 ans, soutiennent son endettement, puis en tirent un grand profit en revendant. Ce sont donc de gigantesques conglomérats, des monopoles financiers, qui permettent d’accumuler du capital même lorsque le taux de profit général est faible. La plupart sont américains, et certains anglais ou luxembourgeois. En France, l’industrie du Private Equity et du Vanguard Capital se développe avec l’émergence demandée par le gouvernement et les grands capitalistes de la « French tech » et de la « start-up nation ». De manière générale, la place des monopoles de gestions d’actifs financiers est majeure dans l’économie actuelle. Le fameux groupe américain BlackRock, qui était précédemment associé au groupe Blackstone dont on a parlé plus haut, est le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, avec 6 840 milliards de dollars sous son contrôle. En plein mouvement contre la réforme des retraites du gouvernement français, fin-2019, BlackRock avait fait le buzz en soutenant le projet et en rachetant de la dette française à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Les liens privilégiés entre les gestionnaires français de BlackRock et Emmanuel Macron sont depuis bien connus. Voilà un exemple de l’influence des sociétés financières sur le monde d’aujourd’hui et sur nos vies.

Le capitalisme financier contemporain est tout simplement un autre nom pour l’impérialisme en crise. C’est le monde dans lequel nous vivons. Un monde où la concentration de capital n’a jamais été aussi élevée, où le capital financier joue un rôle déterminant dans la vie de 7,5 milliards de personnes. Les richesses produites sont fabuleuses, et pourtant la misère subsiste et même dans les pays impérialistes comme la France, la pauvreté et la détresse sociale sont notre quotidien. Il n’y a qu’à voir la crise sanitaire dans laquelle nous vivons, et qui a mis tant d’entre nous dans la précarité ou le chômage (partiel ou total). L’impérialisme est un mode de production malade : quand les marchés financiers ont le nez qui coule, c’est dans les bidonvilles d’Inde, au Mali, au Brésil, dans les cités de France ou les « projects » américains, que l’on s’enrhume, que l’on crève. Pourtant, à Wall Street et Euronext, chez les familles Arnault, Bettencourt, Mulliez ou Dassault, chez les grands bourgeois, on continue à se servir du champagne en attendant que la bourse remonte. Oui mais voilà, un monde en crise est comme une cocotte-minute : la pression finit toujours par le faire exploser. C’est cette révolte là qui est la seule à pouvoir balayer définitivement l’impérialisme.

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