Le monde de la couture : la lutte ne tient qu’à un fil

Le monde de la couture : la lutte ne tient qu’à un fil

Une ouvrière de la couture nous parle de ce secteur méconnu.

Il n’y a pas eu de mouvement de lutte notable dans le domaine de la Haute couture depuis les années 50, et ce n’est pas un hasard.

C’est pourtant un secteur où les couturières (et quelques couturiers) ont des conditions de travail pénibles, les douleurs au dos sont monnaie courante, et les horaires imposés par les rythmes des saisons de défilés sont épuisants. Mais voilà, si chaque saison des centaines de mains habiles s’activent, ce secteur fonctionne en grande majorité grâce à des ouvrières et ouvriers employés en intérim, les maintenant dans une situation toujours fragile.

Oui les salaires ne sont pas assez élevés : et quand en une journée vous avez produit la valeur de votre salaire mensuel, où va le reste ?

Les heures supplémentaires : la loi des 60h/semaine maximum est souvent habilement contournée pour en faire toujours plus, le rythme est éreintant.

Les conditions de travail parfois intolérables : oui c’est bien chez Saint Laurent que les ouvrières ont cousu une collection sans quitter leur manteau en plein hiver depuis un atelier éphémère installé dans une espèce de chapiteau.

Mais quand vous êtes en intérim, que vous vous savez remplaçable, et qu’au moindre faux pas vous ne serez pas repris la saison suivante, comment lutter ? Comment revendiquer quoi que ce soit ? La peur de perdre son travail maintient tout le monde dans le silence et l’acceptation.

Au début de chaque protestation, le mouvement est brisé par les plus précaires d’entre nous ou par les nouveaux, dont la situation est d’autant plus fragile, plus enclin à accepter encore plus d’heures supplémentaires, ou les bas salaires. Ce n’est pas leur faute, le système est fait ainsi, maintenant les travailleuses et travailleurs dans une peur constante afin de pouvoir continuer de les exploiter.

Les univers de la Couture, et la Haute-Couture, sont des milieux au fonctionnement parfaitement rodés. Le tout s’appuie sur les contradictions imposées à ceux qu’elle emploi pour la confection de ces habits de lumière, représentant des centaines d’heure de travail, des milliers d’euros, et quelques secondes sur un podium quand ils ont la chance d’être gardés pour défiler et ne sont pas détruits. La plupart de ces maisons fonctionnent avec très peu d’équipes « fixes » en atelier, une poignée d’ouvrier.e.s en CDI, et faisant appel à toute une armée d’intérimaires les 2/3 de l’année.

J’ai fait partie de ces intérimaires, nous avons des agences d’intérim dédiées, spécifiques à la couture. Le rythme est un peu particulier, on travaille un mois, avec des horaires surchargés, rentrée à 1h du matin, retour au travail à 9h le lendemain, ce rythme-là parfois durant plusieurs semaines (la plupart ne s’encombrant pas trop des limites à 60h par semaine légal, trouvant toujours des arrangements), suivi ensuite de deux ou trois semaines de « trou » sans mission, puis à nouveau 3 semaines dans une autre maison, deux semaines de trou, 1 mois de travail… A chacun de faire ses preuves, avec la pression que chaque mission se passe bien dans l’espoir d’être rappelé pour la collection suivante.

Au bout de quelques années on peut gagner en confiance, sachant rouler entre plusieurs maisons à l’année, avec très exceptionnellement des contrats plus stables à la clé. Mais certaines d’entre nous restent en intérim pendant des années dans la même entreprise, avec des pauses justement calculées pour ne pas se faire taper sur les doigts par l’inspection du travail, attendant un CDI qui ne viendra peut-être jamais.

Mais même si la situation semble perdue d’avance pour toute lutte, ce n’est qu’une façade, car une fois de plus, si toutes les machines s’arrêtent, le secteur est figé : sans couturières pas de Haute Couture.

Le système est si fragile que c’est bien pour ça que l’on n’entend pas parler de lutte ou de grève, le silence est préférable pour maintenir la peur, car il ne s’est pas rien passé du tout depuis les années 50.

Les luttes sont maintenues silencieuses. Cette année encore de simples menaces de grève ont permis d’obtenir dans certaines Maisons augmentation du taux horaire et l’allègement des heures supplémentaires. Les patrons préfèrent étouffer l’affaire dans l’œuf et accorder certaines des revendications avant que cela ne prenne trop d’ampleur et menace d’inciter le plus grand nombre à faire pareil. Et c’est la peur qui les pousse eux aussi à agir ainsi :ils savent qu’ils n’ont pas le pouvoir, alors à nous de le prendre.

Osons lutter, osons vaincre.

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