Les patients déprogrammés : victimes collatérales de la gestion chaotique de l’épidémie

102 000, c’est le nombre de morts du Covid-19 en France depuis le début de l’épidémie. À ces victimes s’ajoutent des milliers de patients morts faute d’avoir pu recevoir des soins à temps, à cause de la déprogrammation massive des opérations dites « non urgentes ». Il s’agit d’un véritable carnage, dont on parle peu, qu’on résume trop souvent à des statistiques. Derrière les chiffres, derrières les annonces ministérielles de déprogrammation de 50%, 60%, parfois même 100% des « opérations non urgentes », il y a des patients qui chaque jour voient leurs chances de survivre diminuer, des patients qui chaque jour vivent dans la crainte que leur état de santé se dégrade.

Récemment, Le Monde et Libération ont publié des articles traitant de cette déprogrammation. Libération a notamment consacré une série de portraits à des patients dont des opérations ont été reportées. Il s’agit cependant là d’exceptions : la plupart des grands médias ne traitent pas de ces sujets, ou alors pas à la une. Pourtant, il s’agit d’un sujet majeur qui concerne des dizaines, si ce n’est des centaines de milliers de personnes en France. En parler signifierait acter la faillite de l’État français sur la question de la santé. Parce que c’est bien de cela dont il s’agit : ces milliers de morts à cause des déprogrammations, ces 100 000 morts du Covid-19, ces vies brisées à jamais par les lourdes séquelles d’un passage en réanimation ou d’un problème de santé traité trop tard, tout cela ne sort pas de nulle part.

Le système de santé français connaît une crise sans précédent. Déjà avant le Covid-19, les personnels hospitaliers alertaient sur leur situation, sur leur manque de moyens, sur le manque de personnels, sur les fermetures de lits et d’unités de soin. À l’époque, la seule réponse de l’État avait été l’envoi de CRS, les coups de matraques, les grenades lacrymogènes. Dans le même temps, l’État investissait des milliards dans des opérations militaires impérialistes au Mali, en Irak, en Syrie et en Centrafrique. Dans le même temps, l’État commandait des LBD, des grenades lacrymogènes et des matraques pour un budget de plusieurs dizaines de millions d’euros. Dans le même temps, aussi, Emmanuel Macron faisait refaire un salon de l’Élysée pour plus de 900 000 euros. Malgré tout cela, malgré ces milliards dépensés inutilement, la réponse de Macron aux personnels hospitaliers demandant plus de moyens fut cinglante : « il n’y a pas d’argent magique ».

L’épidémie de Covid-19 est venue démontrer de manière incontestable que les craintes des soignants étaient fondées. Lors de la première vague, les soignants manquaient cruellement de matériel : pas assez de masques, pas assez de blouses, pas assez de réactifs pour les tests, pas assez de lits, etc. Au delà du matériel, l’hôpital public a gravement manqué de personnel tout au long de l’épidémie. Il a fallu former en urgence des infirmiers et infirmières à la réanimation, il a fallu opérer des transferts de soignants des zones les moins touchées par l’épidémie vers les régions où la situation était catastrophique, il a même fallu faire appel aux étudiants en médecine. Tout cela uniquement pour prendre en charge les patients Covid.

Aujourd’hui, plus d’un an après le début de l’épidémie, les hôpitaux ont encore des dizaines de milliers d’opérations à rattraper, et cela est loin d’être terminé, puisqu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, près de 6000 personnes se trouvent en réanimation. Entre le début de l’épidémie et aujourd’hui, une partie des patients déprogrammés sont décédés. Beaucoup d’autres vont sans doute mourir dans les années à venir. Début mars, Axel Kahn, Président de la ligue contre le cancer, affirmait que « des milliers et des milliers de personnes périront de leurs cancers dans les 5-6 ans ». Et pour cause, il s’agit là de la dure réalité des déprogrammations : chaque opération reportée, c’est des chances de survie en moins. Ainsi, Axel Kahn affirmait également que« ces opérations non urgentes qui sont repoussées, il y a évidemment les opérations de reconstruction post-chirurgie, mais il y a des opérations pour cancer, retardées parce qu’on considère que ce n’est pas une priorité. En réalité, on sait que par mois de retard, il y a une perte des chances de 10% par type de cancers ». Concrètement, cela signifie que chaque mois de retard pris dans l’opération d’un cancer fait baisser de 10% les chances de survie du patient affecté. Bien-sûr, il n’y a pas que les patients atteints de cancer qui sont concernés : combien d’opérations du cœur, des reins, du foi, des poumons etc ont été reportées, sans même que l’hôpital ne soit en mesure de donner de date au patient concerné ?

Rien de tout cela ne serait arrivé si, d’abord, l’épidémie de Covid-19 avait été gérée correctement, si des mesures efficaces avaient été prises immédiatement, si l’État n’avait pas menti sur l’utilité du masque en mars 2020. Rien de tout cela ne serait arrivé, en suite, si l’hôpital public n’avait pas été méthodiquement démantelé au fil des années, par un État soucieux de faire des économies afin de baisser les impôts des riches.

Au fond, il s’agit là d’une véritable question de système, d’une question de civilisation : souhaitons nous vivre dans un système qui finance des guerres impérialistes en Afrique et des baisses d’impôts pour engraisser les actionnaires des grandes groupes, au détriment de la santé de la population ? Ou bien souhaitons nous, au contraire, vivre dans un système qui considère que la santé est une question sur laquelle on ne transige pas, que l’hôpital n’a pas vocation à être rentable, à compter chaque dépense en espérant ne pas être déficitaire, mais bien à soigner les malades, quel qu’en soit le prix ? Pour l’immense majorité de la population, la réponse à cette question est évidente, mais pour les tenants du système capitaliste qui nous gouvernent, la priorité sera toujours le profit, car il est la valeur cardinale du capitalisme. À nous de nous organiser pour changer réellement les choses.

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