L’Observatoire de la laïcité est supprimé : lutte de pouvoir au sein de la bourgeoisie française

La laïcité est un thème récurrent de la politique française actuelle. On ne peut pas passer un mois sans qu’un débat autour de ce sujet n’anime les plateaux télé. La laïcité, à la base, c’est la séparation des Églises et de l’État, issue d’une loi votée en 1905 en France. C’est depuis devenu un « principe républicain », et son utilisation est détournée à toutes les sauces.

Il existe en France un « Observatoire de la laïcité ». La ministre Marlène Schiappa a annoncé sa suppression, décidée par le gouvernement. Pourquoi cette suppression ? Qu’est-ce que ça révèle de la réactionnarisation de l’État français ? Qu’est-ce que ça veut dire des idées de la bourgeoisie française ? Cet article va répondre à ces questions.

Premièrement, d’où venait cet « Observatoire de la laïcité » ? C’était un organisme consultatif, donc sans pouvoir, qu’avaient créé les présidents de droite (Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy), mais qui n’a pris ses fonctions qu’en 2013, sous le mandat Hollande. Les postes de l’Observatoire étaient occupés par des hauts fonctionnaires, des parlementaires et des « personnalités » ayant une expérience liée à la laïcité. On y a retrouvé des professeurs, des magistrats, etc. Son président, Jean-Louis Bianco, était un politicien socialiste de longue date, et c’est lui qui a coordonné les travaux de l’Observatoire. Chaque année, il faisait un rapport sur l’état de la laïcité en France.

Ensuite, quel était l’objectif de cet « Observatoire » ? Il s’agissait, pour le pouvoir socialiste, de montrer son attachement à la « laïcité à la française », et d’avoir un regard sur l’application de la loi. Souvent critiquée par la droite pour son supposé laxisme sur la laïcité, comme le prouve la polémique récente sur « l’islamo-gauchisme », la gauche bourgeoise française veut prouver qu’elle ne transige pas sur le sujet. Selon Jean-Louis Bianco, le rôle principal de l’Observatoire était de donner des conseils sur les manières d’appliquer au mieux la laïcité en France, et de transmettre ces conseils auprès de toutes et tous sur le terrain.

Mais alors, s’il remplissait ces missions, pourquoi le supprimer ? N’a-t-on pas vu la laïcité devenir de plus en plus un sujet du « débat public » (c’est-à-dire un sujet pour les grands médias bourgeois) ces dernières années ? Bien sûr que si ! Mais dès sa création, cet « Observatoire » a reçu un accueil froid de la part de sa propre majorité. Manuel Valls, qui était Premier ministre à l’époque, l’a critiqué frontalement. Valls faisait partie des chevaliers de la laïcité, il en a fait son emblème, un axe inébranlable et invariable, pour justifier ses politiques réactionnaires. En 2015, après les attentats, il en a même fait un quatrième « principe républicain » en plus de « Liberté, Égalité, Fraternité », dans son discours à la Bibliothèque de France : « Les attentats de janvier, et plus encore ceux du 13 novembre, ont montré avec une violence absolue à quel point notre modèle républicain, fondé sur la liberté, l’égalité, la fraternité, et évidemment la laïcité, était précisément ciblé » a-t-il dit.

Manuel Valls et Jean-Louis Bianco étaient du même parti politique, de la même majorité ! Et pourtant, le torchon brûlait, et là où Jean-Louis Bianco signait des tribunes contre le racisme et l’islamophobie, Manuel Valls quant à lui avait fait de la laïcité son credo.

Mais c’est bien sous le quinquennat Macron que tout s’accélère. L’Observatoire existait toujours jusqu’à aujourd’hui, mais la majorité des politiciens français lui étaient désormais hostiles, des macronistes à l’extrême droite. Ils l’accusaient d’être laxiste et en connivence avec les « ennemis de la République », alors même qu’il était placé directement sous l’autorité du gouvernement. Il ne faut pas s’y tromper : cet « Observatoire » n’était pas un ami du peuple, que les grands politiciens ont voulu museler. Non : Jean-Louis Bianco lui-même a affirmé avoir soutenu le projet de loi « Sécurité globale » et les nombreux autres projets du gouvernement qui ont muselé nos libertés, depuis les Gilets jaunes et l’intégration de l’état d’urgence dans le droit commun. Alors nous revenons à notre question : pourquoi le supprimer ? Et surtout, par quoi le remplacer ? Ce qu’il faut comprendre, c’est que cet « Observatoire » n’est plus adapté pour utiliser la laïcité dans l’offensive réactionnaire du gouvernement sur les minorités. Sous Hollande, il pouvait suffire, mais son existence montrait déjà que la loi sur les Églises est utilisée par l’État français pour ses politiques réactionnaires. Mais sous Macron, avec Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, qui écrit qu’il faut faire aux musulmans ce que Napoléon a fait aux juifs (un décret surnommé le « décret infâme », qui a fait des juifs des citoyens de seconde zone), la bourgeoisie ne pouvait plus se contenter d’un simple « Observatoire ». Pas après l’assassinat de Samuel Paty : le gouvernement a donc décidé de sortir l’artillerie lourde.

L’Observatoire, trop mou, impuissant (70 000 € de financement seulement), trop consultatif, trop complaisant, trop libéral finalement, devait être supprimé. Il a soutenu l’offensive réactionnaire de l’État par la laïcité, jusqu’à devenir obsolète, car la politique bourgeoise française est devenue très à cheval sur cette question : des écolos à l’extrême droite, la laïcité est un sujet central, qu’on voit comme un « principe fondateur » à défendre, ou comme une manière facile de justifier des politiques répressives. En 2013, on vivait dans un pays où le RN de Marine Le Pen n’arrivait pas au second tour. Aujourd’hui, en lisant Darmanin sur la laïcité, Le Pen lui dit qu’elle est d’accord avec lui, et Darmanin lui répond qu’elle propose une politique trop molle. Voilà l’état des choses : l’État français avance rapidement dans sa tendance de réactionnarisation, les caractéristiques de la démocratie bourgeoise classique sont petit à petit rognées au nom des « valeurs de la République ».

Pour cela, la laïcité est le parfait cheval de Troie. La bourgeoisie l’érige en superbe principe républicain : elle justifie sa chevauchée réactionnaire par la défense de la laïcité. 2022 arrive, et la laïcité sera probablement un sujet des élections présidentielles. Alors il faut que Macron frappe un grand coup. Voilà pourquoi l’Observatoire a été supprimé. Marlène Schiappa a d’ores et déjà annoncé son remplacement par des « états généraux de la laïcité », et même probablement une administration de la laïcité. Une manière de plus pour le gouvernement de faire de la laïcité une arme pour la réactionnarisation de l’État.

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