Guerre contre la drogue : plus d’amendes et de tension pour aucun résultat

Le mercredi 5 mai, à Avignon, un policier a été tué par balles alors qu’il effectuait un contrôle sur un point de deal. Cet événement s’inscrit dans un contexte de montée en tension ces derniers mois entre dealers et consommateurs d’un côté et État de l’autre.

Le 18 avril, dans un entretien au Figaro, Emmanuel Macron a déclaré « la guerre à la drogue ». Justifiant sa politique de l’amende forfaitaire pour consommation de stupéfiants, il a spécifiquement ciblé les consommateurs, affirmant que « quand on se roule un joint dans son salon, on alimente le plus grand des trafics ». Ainsi, depuis septembre 2020, la consommation de drogue a été « contraventionnalisée ». Cela signifie qu’il ne s’agit plus d’un délit mais d’une simple contravention, passible d’une amende de 200€. Le but de cette mesure était cependant bel et bien d’intensifier la répression contre les consommateurs. En effet, les poursuites pour délit de consommation de stupéfiants étant très rares, le gouvernement a choisi de permettre aux policiers de dresser une amende dès qu’ils constatent une infraction. Depuis septembre, ce sont ainsi 70 000 contraventions qui ont été dressées.

En parallèle de cette politique de l’amende forfaitaire, le gouvernement a également lancé une vaste campagne de « démantèlement des points de deal ». Ainsi, en mars, Gérald Darmanin se félicitait du démantèlement de plusieurs points de deal par jour et affirmait « Plus il y aura harcèlement de ces points de deal, plus il y a manifestement réaction des dealers, mais à la fin ce sera toujours la police qui va gagner ».

Une politique inefficace, qui cible les conséquences plutôt que les causes

Si Emmanuel Macron et Gérald Darmanin justifient leur politique par une volonté de protéger la santé des jeunes, il s’agit là bien évidemment d’un prétexte. Tous les addictologues, les sociologues de la déviance et autres spécialistes de la consommation de drogues le savent : la répression n’a strictement aucune efficacité, au contraire même, elle est contreproductive. La répression renforce l’isolement social, elle renforce la marginalisation des consommateurs et, in fine, elle renforce l’addiction. Mener la guerre contre les consommateurs est ainsi une posture morale et non une stratégie efficace pour endiguer la consommation.

De la même manière, la guerre contre le trafic n’a aucune efficacité : en 1971, Nixon, alors Président des États-Unis, a entrepris une grande campagne de « guerre contre la drogue », visant spécifiquement le trafic. Cette politique n’a rien changé : 50 ans après, le marché états-unien est toujours alimenté quotidiennement en produits stupéfiants. Au fond, la guerre contre la drogue a surtout permis à l’impérialisme états-unien de renforcer son emprise sur l’Amérique du Sud, via des opérations armées de haute intensité qui ont causé des dizaines de milliers de morts. La guerre contre la drogue a aussi servi de prétexte à l’impérialisme états-unien pour attaquer le Parti Communiste du Pérou, qui menait dans les années 1980 – 1990 une guerre populaire révolutionnaire. Enfin, la guerre contre la drogue a servi au pouvoir états-unien dans le cadre de sa lutte contre les groupes révolutionnaires, Black Panther Party en tête : en menant une lutte contre le cannabis, l’État a créé un appel d’air pour le crack, qu’il a en suite sciemment laissé se répandre au sein du Black Panther Party.

Huey P. Newton, cofondateur du Black Panther Party et leader du mouvement tombera dans l’addiction au crack et finira assassiné par un dealer


Si la guerre contre la drogue voulue par Macron et Darmanin est d’une intensité bien plus faible que celle menée par Nixon, il n’en demeure pas moins qu’elle poursuit des buts similaires. En multipliant les opérations de police dans les quartiers prolétaires, en banlieue des grandes villes, l’État entend asseoir sa présence dans ces zones où la lutte des classes est la plus intense, où la jeunesse se révolte régulièrement contre des crimes policiers, où les masses subissent avec une grande violence l’exploitation capitaliste quotidienne. Dans ces quartiers, l’État capitaliste ne peut pas gouverner pacifiquement. Il est obligé d’envoyer ses chiens de garde habillés en bleu pour «
maintenir l’ordre », qui n’est in fine que l’ordre capitaliste. En ce sens, la guerre contre la drogue n’est qu’un prétexte à l’intensification de la répression contre les quartiers prolétariens.

Il faut bien dire que, à un an des élections présidentielles, Emmanuel Macron est en pleine campagne pour sa réélection. Il veut ainsi montrer une image de Président fort, qui ne lésine pas sur les moyens alloués à la sécurité. Emmanuel Macron cherche à se positionner comme le Président de l’ordre face au chaos, il cherche à montrer qu’avec lui, force doit rester à la loi, coûte que coûte. Ce qui compte, ce n’est donc pas l’efficacité de la lutte contre le trafic et la consommation de drogue, ce n’est pas non plus la santé des jeunes. Non, ce qui compte pour Emmanuel Macron, c’est l’image qu’il renvoie dans une perspective électorale. Si Emmanuel Macron se souciait réellement des dégâts causés par la consommation de drogue, il ne se contenterait pas d’une politique répressive contre les drogues illégales, mais il se soucierait de la consommation d’alcool, qui fait des ravages immenses dans la société. Là dessus, l’État applique un « deux poids, deux mesures » : dans toute la société, l’alcool est banalisée et même promue comme un facteur d’intégration sociale, là où le cannabis, par exemple, est diabolisé. La simple délimitation législative arbitraire considérant l’un comme légal et l’autre comme illégal justifie-t-elle une politique si différenciée à l’égard de deux produits ayant des conséquences dramatiques sur la société ? Cela illustre une fois de plus tout le double jeu des États capitalistes sur la question des drogues : d’un côté la lutte contre la drogue est mise en avant comme une grande cause civilisationnelle, de l’autre, l’État laisse volontairement se répandre des drogues – légales ou illégales – au sein du prolétariat, afin d’acheter la paix sociale et de briser toute combativité de classe. Et pour cause, la drogue est par essence contre révolutionnaire : elle maintient des millions de personnes dans une situation d’addiction, dans une situation de passivité, elle « aide » des millions d’individus à accepter une situation totalement injuste et elle est, en ce sens, considérée par tant de gens comme une béquille, qui aide à tenir debout malgré l’adversité.

Alors, Emmanuel Macron s’attaque hypocritement aux conséquences et non aux causes. Bien-sûr, il y a de nombreux facteurs qui peuvent expliquer le trafic et la consommation de stupéfiants. Là dessus, il faut avoir un regard matérialiste : ce sont nos conditions matérielles d’existence qui déterminent notre pensée et nos actes, et donc le fait qu’on consomme ou vend de la drogue. En 1938, le sociologue Robert K. Merton analysait la « déviance » (dont font partie la consommation et le trafic de drogue) comme une résultante des structures sociales. Selon lui, un individu devient déviant lorsque les buts légitimes qu’il poursuit (avoir une situation matérielle confortable, avoir un bon emploi, être heureux) sont inatteignables en respectant les normes sociales et légales en vigueur. L’individu peut alors soit se tourner vers la criminalité et ainsi trouver un moyen alternatif d’atteindre ses objectifs, soit vouloir échapper à cette réalité. C’est là qu’interviennent la consommation et le trafic de drogue. Pour certaines personnes, le trafic est un moyen de s’en sortir financièrement, pour d’autres la consommation est un moyen de s’évader artificiellement d’une situation difficile.

En France, dans de nombreux quartiers, le trafic assure un revenu vital à de nombreuses familles. En 2018, on estimait à 3,5 milliards d’euros le chiffre d’affaire lié au trafic illégal de stupéfiants en France. Il est évident qu’une bonne partie de cet argent fait vivre des familles qui, sans ça, n’arriveraient pas à joindre les deux bouts. En Seine-Saint-Denis, dans de nombreux communes, le chômage des jeunes dépasse les 30%. Cette situation jette des dizaines de milliers de jeunes dans les griffes des réseaux de trafic de stupéfiants. Chaque année, des milliers de jeunes, parfois mineurs, deviennent les « petites mains » de réseaux mafieux, qui les exploitent pour générer des milliards d’euros en vendant des produits toxiques. Dans un contexte de crise sanitaire et économique, alors que les licenciements se multiplient, alors que l’isolement social renforce l’addiction de nombreux consommateurs, il est évident que le trafic apparaît pour beaucoup de jeunes comme « la seule solution ».

Une situation qui renforce le « cannibalisme social »

La multiplication des opérations anti drogue, que ce soit contre les trafiquants ou contre les consommateurs, renforce le « cannibalisme social ». Le cannibalisme social, c’est quand « on se bouffe entre nous », quand on se divise entre habitants d’un même quartier, quand quelques personnes pourrissent la vie des habitants de tout un quartier. Il est évident que, dans de nombreux quartiers, le trafic pourrie la vie des habitants. Il est évident que, dans de nombreux quartiers, les habitants en ont marre de voir des dealers traîner dans les cages d’escalier ou en bas des tours. Il est évident que de nombreux parents ont peur que leurs enfants ne rejoignent des réseaux de trafiquants pour devenir guetteurs ou vendeurs. Il est évident que, dans de nombreux quartiers, les habitants en ont marre de voir des opérations de police violentes se multiplier et des dealers cacher leur marchandise dans les barres d’immeuble. Il est évident, enfin, que dans certains quartiers, les habitants en ont marre de voir des toxicomanes se défoncer juste en bas de chez eux, parfois devant les enfants, comme c’est le cas à Paris, porte d’Aubervilliers, où les consommateurs de crack passent leurs journées à se défoncer.

La colline du crack, à Paris porte de la chapelle, avant son évacuation et son déplacement vers la porte d’Aubervilliers


La traque aux consommateurs renforce leur isolement et donc leur marginalité, ce qui crée des situations de plus en plus tendues. La traque aux trafiquants renforce leur situation de clandestinité et augmente drastiquement le niveau de violence lié au trafic. Au quotidien, ce sont les masses vivant dans les quartiers ouvriers qui subissent les conséquences de tout cela, qui sont prises en étau entre des consommateurs ravagés par les dégâts de la drogue, des dealers prêts à tout pour protéger leur petit business et des flics qui jouent les cowboys en utilisant le prétexte du trafic pour se comporter comme une force d’occupation.

En somme, l’État capitaliste crée les conditions sociales d’un pourrissement de la situation, et utilise en suite ce pourrissement pour monter les habitants des quartiers les uns contre les autres et pour répandre dans les quartiers ouvriers des substances qui brisent la combativité du prolétariat.

Pas de solution dans le système capitaliste

Tous ces problèmes n’ont pas de solution dans le cadre du système capitaliste, et ne sont que des conséquences du pourrissement de l’impérialisme. Tant que des millions d’individus seront exploités et subiront au quotidien une immense violence sociale, il y aura de la consommation de drogue (légale ou illégale), car celle-ci permet « d’oublier ses problèmes ». Tant qu’il y aura des millions de personnes privées d’emploi, certaines d’entre elles chercheront illégalement et par le trafic à gagner de précieux euros permettant de subvenir à leurs besoins. Tant que le capitalisme existera, il y aura des grandes entreprises blanchissant l’argent des trafiquants pour amasser des bénéfices et pour permettre au trafic de continuer, afin de briser la combativité du prolétariat et d’acheter une relative paix sociale.

Au fond, tous ces problèmes ne peuvent être réglés que par la révolution, par la prise du pouvoir par les travailleurs, par l’instauration d’un système débarrassé de l’exploitation, un système dans lequel chacun pourra vivre dans de bonnes conditions et aspirer à un avenir heureux. Ainsi, les révolutionnaires ne doivent pas faire d’angélisme : il ne s’agit pas de considérer les dealers uniquement comme des pauvres victimes du système. Ceux qui pourrissent la vie des masses populaires sont des ennemis du peuple. Mais il ne s’agit pas non plus de vouloir appliquer des solutions dogmatiques et uniquement répressives à des problèmes qui ne pourront jamais être réglés par la répression car découlant des contradictions mêmes du système. Ainsi, les révolutionnaires doivent avoir pour objectif de créer une véritable unité populaire au sein des masses : il faut convaincre les consommateurs et les petites mains du trafic que le système actuel n’est pas une fatalité et que, en nous organisant, nous pouvons le balayer. Il faut combattre avec détermination les gros dealers, à la tête des réseaux mafieux, qui ne sont que des capitalistes dans la clandestinité et donc des ennemis du peuple.

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