Comment et pourquoi la bourgeoisie française nous mène-t-elle à la guerre ?

« Nous sommes en guerre », voilà comment Emmanuel Macron annonçait à la France et au monde qu’une pandémie imposait un confinement du pays en 2020. Depuis cette annonce, l’utilisation de ces expressions militaires s’est multipliée dans les discours officiels et les rhétoriques des candidats en campagne électorale. Mais si ce n’était que des paroles, on ne pourrait pas en tirer de grandes conclusions ! Sauf que voilà : derrière les paroles, il y a des actes. Et le gouvernement de Macron, et avec lui toute la machine d’État français et la bourgeoisie française qui les dirige marchent bel et bien vers la guerre.

Le diagnostic de la bourgeoisie française : s’armer pour mieux régner

Il faut commencer par poser le constat : la bourgeoisie française est en train de « réarmer » (selon les termes gouvernementaux) la société. Elle veut ainsi contenir tous les débordements, et se préparer aux conflits internationaux qu’elle prévoit. En novembre, dans son adresse aux Français, Macron disait la chose suivante : « C’est dans ce contexte du choc des puissances américaine, chinoise, russe et de déstabilisation  de nombreuses zones du monde que notre pays aura dans deux mois la charge de présider l’Union européenne. ». Il est donc parfaitement conscient, et toute la bourgeoisie française avec lui, de l’augmentation des tensions entre les puissances impérialistes partout dans le monde.

Dans ce petit jeu, la France n’est pas en reste : l’affaire des sous-marins (voir notre n° 56) a agité l’actualité et la France reste une importante puissance militaire en Europe. Macron a également mis l’accent à plusieurs reprises sur les « désordres géopolitiques » que le gouvernement devrait gérer, en plus de la pandémie et des réformes (retraites, chômage, etc.). En octobre 2021, le chef d’état-major des armées Thierry Burkhard annonçait préparer l’armée française à la « haute intensité », c’est-à-dire à un conflit ouvert avec une grande armée ennemie. Depuis deux ans, la vision stratégique française change, et la préparation d’un « conflit de grande ampleur » devient prioritaire sur les guerres de proxy (c’est-à-dire les conflits menés dans des pays alliés/ennemis et pas directement contre une grande puissance). En 2023, l’armée française lancera un exercice en Champagne-Ardenne baptisé « opération Orion ». Une source auprès de The economist indique que l’objectif est d’évaluer si les Français sont prêts « à accepter un niveau de pertes que nous n’avons plus connu depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Cette tendance de la bourgeoisie française à la guerre et au conflit avec les autres grandes puissances n’est pas nouvelle. La France n’a jamais cessé d’occuper des territoires avec son armée, d’avoir une rhétorique guerrière. Elle fait partie des pays qui ont le plus été impliqués dans des guerres ces dernières décennies. Citons seulement la Libye, où le gouvernement de Sarkozy a conduit en 2011 à la situation catastrophique que le pays vit aujourd’hui. Dans la Première Guerre mondiale comme dans la Deuxième Guerre mondiale, la place de l’impérialisme français a été importante dans la naissance, la conduite et la conclusion de ces guerres qui ont ravagé le monde et tué des dizaines de millions de personnes. En bref : à l’époque de l’impérialisme, les tensions guerrières ne sont pas des « bugs », mais bien une fonctionnalité à part entière du système.

Comment l’impérialisme français développe-t-il son armement ? Eh bien, sous le gouvernement de Macron, cela s’est accéléré. Mais même avant, cette dynamique avait été enclenchée. C’est sous Macron que le budget du ministère de l’Intérieur et l’armement de la police ont augmenté comme jamais. 3,5 milliards d’€ supplémentaires entre 2017 et 2022, près de 20 % du budget. L’objectif du gouvernement est d’avoir créé 10 000 postes de policiers et de gendarmes en cinq ans. Étant donné le rôle de la police en France (dont les violences policières dans les quartiers et les révoltes comme les Gilets Jaunes sont de bons exemples) et les missions de réservistes de l’armée pour les gendarmes, cela fait partie de l’augmentation des budgets militaires de l’impérialisme français.

Mais l’armée n’est pas en reste ! Le budget de la « Défense » (c’est d’ailleurs Macron qui l’a renommée ministère des Armées en 2017) a gagné 1,7 milliard d’€ annuels au « Beauvau de la sécurité » organisé par le gouvernement en septembre 2021. L’armée est le « premier recruteur de France », et les affiches pour s’engager pullulent dans les abribus et même sur internet. Des influenceurs sont payés pour participer à ces campagnes de pub, comme le YouTuber musculation TiboInShape le fait régulièrement depuis 4 ans. En 5 ans, les armées ont vu leur budget augmenter de 9 milliards d’€. Et la place de l’armée française dans la stratégie de l’État ne cesse d’augmenter.

Tibo InShape, la propagande moderne de l’armée française

Un exemple typique : le Service National Universel

Il suffit de prendre un exemple pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette politique de la bourgeoisie. Le Service National Universel était une promesse de campagne du candidat Macron en 2017. Il visait à recréer une forme de « service militaire », ce que Jacques Chirac avait supprimé en 1997, après 200 ans de service obligatoire. C’était un développement de la conscription, où tous les jeunes hommes étaient incorporés dans l’armée pour une période donnée. C’est cette politique que la bourgeoisie française avait adoptée pour tous ses grands conflits. Mais voilà que Chirac la supprime : le service militaire était devenu une machine bureaucratique inutile, ridiculisée par les participants, et inutile pour les efforts militaires français. L’armée française devient alors professionnelle, et le recrutement se fait sur la base de contrats. À la place d’un service obligatoire, l’État encourage les jeunes Français à rejoindre l’armée en multipliant les salons de l’emploi et de la formation et les démarches de recrutement.

Le Service National Universel (SNU) ne transforme pas fondamentalement l’armée française, il vient plutôt redéfinir le lien de l’armée à la population. Et notamment aux jeunes, qui sont l’avenir. Le message que la bourgeoisie veut faire passer est le suivant : « Non, l’armée n’est pas loin de vos préoccupations, ce n’est pas une carrière barbare ! C’est l’avenir du pays et de vos enfants ! ». Au SNU, on apprend, encadré par des militaires, à se lever tôt, à saluer le drapeau français, à chanter l’hymne, à vivre en baraquements militaires. Bien qu’on y apprenne rien de proprement militaire (au début), l’objectif est de « créer le déclic d’un engagement durable », en fixant bien les préoccupations des jeunes auprès des intérêts de l’armée. Et pourquoi pas un recrutement, qui sait ? Voilà une manière d’enrégimenter les jeunes, particulièrement les jeunes prolétaires. Pourquoi iraient-ils mourir sur un champ de bataille étranger, défendre une patrie qui ne leur a rien donné, sous les ordres de grands bourgeois avec lesquels ils ne partagent qu’un passeport ? La bourgeoisie française a trouvé sa réponse : ils le feront, car on leur apprendra que c’est leur devoir de français. C’est un disque rayé qu’on nous repasse sans cesse. C’était le même lors des deux guerres mondiales. L’écrivain Anatole France l’avait déjà dénoncé dans une lettre à l’Humanité il y a 100 ans : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ». Il n’y a rien de bon à conserver dans cette tentative de l’impérialisme français pour convaincre la jeunesse de le soutenir.

Après des expérimentations en 2019, où 29 jeunes ont fait des insolations lors d’une cérémonie sous le soleil, le SNU se déploie désormais de façon obligatoire. 30 000 jeunes en 2020, 150 000 en 2021. C’est la classe d’âge de 2008 qui sera pour la première fois concernée pleinement. 1,5 milliard d’€ y seront consacrés, ce qui montre l’importance de ce programme pour la bourgeoisie française. C’est une base géniale pour la bourgeoisie française : parmi chaque classe d’âge, elle peut « créer des vocations à l’engagement » (lisez : recruter des jeunes pour signer des contrats dans l’armée) et développer un « esprit civique durable » (lisez : convaincre les jeunes prolétaires français que leur salut se trouve dans l’État bourgeois et l’impérialisme français). À travers de tels programmes, dont le SNU n’est qu’un exemple particulier, la bourgeoisie française s’arme concrètement (avec des équipements, des véhicules) mais aussi idéologiquement (embrigadement des masses, renforcement des institutions militaires) pour la guerre.

Le Service National Universel (SNU) en rangs devant le drapeau tricolore

Pour le prolétariat et les masses : la bourgeoisie propose un avenir sombre

Une guerre, ça ne se mène pas qu’avec des drones, malgré ce qu’a longtemps voulu faire croire l’état-major américain avec sa prétendue « Révolution dans les Affaires militaires ». Toutes les technologies ne font pas le poids face au facteur humain. Car on ne fait pas la guerre pour ou contre des armes, mais bien contre des armées pour des objectifs politiques déterminés. Les guerres de l’avenir ne seront pas des guerres sans pertes, sans friction stratégique, sans femmes et hommes qui en constitueront la première ressource : le matériel humain.

C’est une mystification de faire croire que notre monde est « pacifié » (alors que les enjeux conflictuels sont énormes !), et que les morts sont rares. Les affrontements en cours en sont bien la preuve. En 2020, 6 semaines de guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, ont fait plus de 6 000 morts. La guerre civile au Sud-Soudan a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de personnes, et fait près d’un million de personnes réfugiées. Bien sûr, l’exemple le plus marquant de la décennie 2010 est celui de la guerre en Syrie, où 500 000 à 600 000 personnes ont perdu la vie, dont un tiers au moins de civils. La guerre civile yéménite entamée en 2014, qui a causé des famines pour des millions de personnes, est elle aussi un exemple marquant du monde dans lequel nous vivons. Dans tous ces conflits, les impérialistes, et leurs chiens de garde locaux, n’ont pas hésité face aux pires atrocités pour leurs intérêts. C’est cela, les guerres que les impérialistes mènent ou sponsorisent, des guerres sales et injustes, faites de massacres et de traitements inhumains. Et les guerres entre les puissances impérialistes ont toujours déchaîné cette barbarie sur toute la planète : c’est pour cela qu’on les a nommés « guerres mondiales ».

Alors quel est le monde qu’ils nous proposent ? Que met Macron en avant quand il demande au prolétariat français et aux masses populaires de « faire confiance à la France » ? Eh bien, il demande de faire confiance à l’impérialisme français pour ressortir triomphant de la guerre. La crise est générale, et la France est agressive face aux autres puissances impérialistes que Macron a citées : américains, chinois, russes. Voilà pourquoi cette politique s’accélère ces dernières années, et notamment depuis la pandémie de COVID. En clair : il nous demande de nous préparer à aller mourir pour que le système impérialiste puisse rester en place. C’est l’avenir sombre que la bourgeoisie nous prévoit. Ce n’est pas le cas seulement en France, mais c’est particulièrement marqué ici depuis le quinquennat de Macron, où les tensions se sont multipliées. C’est de ce point de vue qu’il faut comprendre les augmentations d’effectifs policiers, militaires, et globalement la « militarisation » mise en avant par la bourgeoisie française. Dans cela, il n’y a rien qui soit positif pour le prolétariat et les masses.

Que faut-il opposer ? On ne peut pas se bercer d’illusions et défendre une « paix » abstraite, un « pacifisme » qui souhaite maintenir les choses telles qu’elles sont. La métropole française est un territoire « en paix » depuis longtemps. Pourtant, l’impérialisme français n’a jamais cessé ses occupations, ses exactions, ses guerres à l’étranger. Il n’a jamais abandonné la préparation à la guerre. Et les conflits partout dans le monde n’ont jamais cessé. Il serait donc irresponsable de s’attacher à cette « paix », qui est un abus de langage. Mais il serait plus irresponsable encore de ne pas rejeter la guerre impérialiste par fatalisme. Un monde meilleur est possible. Contre l’impérialisme russe et la guerre mondiale, les masses russes ont fait la révolution en 1917 et conquis le pouvoir dans la guerre civile. Ce n’est pas le seul exemple de cette réaction contre la guerre. Mais cela prouve bien que les masses ont le pouvoir de s’unir contre leurs ennemis pour se débarrasser définitivement de la guerre impérialiste grâce à la guerre populaire. Voilà une menace que Macron et la bourgeoisie impérialiste française ne veulent surtout pas voir émerger !

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