Guerre en Europe : Comment se positionne le prolétariat? partie 2

Suite de cet article publié dans la CDP 62

Ce n’est pas juste la faute de Poutine, c’est celle de l’impérialisme dans sa totalité

Un autre moyen de dissimuler la nature impérialiste de la guerre est de faire porter toute la responsabilité de la guerre sur le caractère maléfique du chef historique et actuel de la Fédération russe, Vladimir Poutine. Cet argument superficiel réduit la cause de la politique agressive de la Russie aux idées d’un homme et de son cercle d’élite, notamment en comparant Poutine à Adolf Hitler. Cette comparaison à l’icône du mal dans la politique sert également à réduire la complexité politique de la guerre interimpérialiste en une simple question morale. Premièrement, il est simplement insultant pour les dizaines de millions de victimes du nazisme, surtout les victimes de la Shoah, de comparer ce que fait Poutine à ce qu’ont fait les nazis. Bien que les deux contextes relèvent de la guerre impérialiste, ils ne sont pas du tout comparables en échelle. La comparaison est aussi totalement cynique, car dans la période de la «Guerre contre la terreur» après le 11 septembre, la Russie de Poutine était vu par l’OTAN comme un allié stratégique de sécurité, alors que c’était le dictateur de l’Iraq, Saddam Hussein, qui était comparé à Hitler. De l’autre côté, Poutine justifie l’invasion de l’Ukraine en la qualifiant «d’opération antinazie».

Les comparaisons à Hitler et au nazisme servent bien plus qu’à simplifier notre regard sur les choses, en comparant la guerre juste contre le nazisme avec la guerre impérialiste, qui est un crime contre les prolétaires et les paysans du monde entier. Le fascisme hitlérien était l’expression la plus violente et dévastatrice de l’impérialisme et il a été écrasé principalement par l’Armée rouge de l’Union soviétique, sous la direction du camarade Staline. Dans cette guerre sans comparaison, l’expression politique la plus dégénérée de la dictature bourgeoise, incarnée par l’Allemagne nazie, a affronté la dictature du prolétariat, incarnée à l’époque dans sa forme la plus aboutie par l’Union soviétique. Dans la guerre en Ukraine actuelle, les prolétaires n’ont pas d’État ni d’armée. Ils se trouvent coincés sans défense entre les armées et les mandataires de la bourgeoisie impérialiste, la même classe sociale qui avait parrainé Hitler et la montée en puissance du Parti nazi pour écraser le mouvement prolétaire. Poutine n’est pas Hitler et si Poutine n’avait jamais existé, un autre politicien serait là à sa place pour exécuter la même politique au service de la bourgeoisie impérialiste russe.

Les sanctions punissent d’abord le peuple

Depuis l’invasion russe, les États-Unis et les puissances impérialistes de l’UE ont progressivement augmenté les sanctions économiques contre la Russie, au prétexte d’affaiblir sa capacité économique à continuer la guerre. Compte tenu des faibles effets des sanctions dans les dernières décennies sur des pays beaucoup plus faibles que la Russie, ce prétexte ne peut pas être pris au sérieux. Par exemple, l’Iran, une semicolonie avec une économie plus petite et beaucoup moins de richesse en ressources stratégiques, a malgré tout réussi à développer son propre complexe militaro-industriel et à conserver son statut de puissance régionale sous la pression écrasante des sanctions étasuniennes. Le cas de la Corée du Nord est encore plus clair. Malgré plus d’un demi-siècle de sanctions et de harcèlement militaire par les États-Unis, ce petit pays isolé a réussi à développer ses propres ogives nucléaires et ses propres missiles, tout en préservant une des plus grandes armées du monde.

Les sanctions économiques servent principalement à bloquer l’accès au dollar étasunien pour limiter au maximum les importations dans le pays ciblé, puisque le dollar étasunien est la devise pour l’énorme majorité des transactions internationales. Le but est donc de ne pas laisser la Russie détenir les dollars étasuniens nécessaires pour l’importation de marchandises clés à son économie, afin d’impacter sa campagne militaire en Ukraine, tout en renforçant la dissension parmi les Russes. En revanche, la Russie est un des pays les plus riches du monde en ressources stratégiques, tels que le pétrole, le gaz naturel et les minéraux de terres rares. En outre, la Russie est largement alimentée par une énorme infrastructure d’énergie nucléaire. Ces ressources sont mobilisées pour le complexe militaro-industriel russe, reconstruit depuis les années 90 pour tenir en face des moyens de guerre économique des États-Unis. En plus, la Russie a hérité du savoir scientifique soviétique, lui permettant de ne pas dépendre entièrement d’autres pays pour ses technologies militaires, parmi les plus avancées au monde. Inévitablement, les sanctions ont un effet important sur l’économie russe et son approvisionnement en matériel pour son industrie militaire, mais elles ne vont pas arrêter la machine de guerre d’une telle grande puissance impérialiste.

Pour les importations dont la Russie a absolument besoin, il existe quand même des moyens de les payer. Premièrement, la Russie a ses réserves de devises, qui finiront par s’épuiser. Bien que ce soit plus compliqué, la Russie peut toujours participer à des échanges en dollars étasuniens, en passant par des banques intermédiaires de pays qui ne sanctionnent pas la Russie, comme la Chine. Par ailleurs, la dépendance européenne sur le gaz naturel russe ouvre d’autres possibilités pour le commerce russe. La Russie veut demander à ce que le gaz soit payé en roubles, ce qui pousse l’Europe à avoir des échanges avec les entreprises russes, afin d’obtenir des roubles pour acheter le gaz russe. L’Europe ayant besoin du rouble, la Russie a mis le rouble sur l’étalon-or au début d’avril 2022, fixant à 5000 roubles la valeur d’un gramme d’or. Le régime de Poutine parie que tant que l’Europe aura besoin de roubles pour l’énergie russe, il n’y aura pas de demande importante pour échanger des roubles contre de l’or. La valeur fixe en or protège le rouble contre l’inflation causée par la guerre économique contre la Russie, stabilisant le pouvoir d’achat russe. La dépendance européenne au gaz russe empêche la plupart des pays européens de mettre en œuvre des sanctions totales contre la Russie, ce qui confère à la Russie un moyen de pression en Europe, réalité qui frustre les impérialistes étasuniens depuis des décennies.

Enfin, il faut évaluer l’effet des sanctions sur le peuple russe. Les impérialistes étasuniens et européens espèrent que la dureté économique amènera les Russes à se révolter contre le régime de Poutine. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la popularité de Poutine est en chute et les masses en Russie continuent à manifester contre la guerre impérialiste russe, mais le régime s’est très bien préparé à ce tumulte politique attendu. L’État russe d’aujourd’hui dispose d’un appareil répressif fort et sophistiqué en matière de capacités de répression violente et de cybersurveillance, organisé principalement par le puissant Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie. Aucune révolte spontanée et inorganisée ne peut menacer cette structure. L’État russe a également prévu les effets des difficultés économiques sur les Russes en imposant d’avance des conditions économiques dures à la population. Les peuples de la Russie ont déjà été endurcis par la dévastation des crises économiques des années 90. En réponse, la Russie de Poutine a suivi une politique économique extrêmement prudente et les conditions se sont énormément améliorées depuis cette période, mais en appliquant une politique fiscale très stricte. L’État russe maintient les dépenses sociales à un niveau très bas, malgré la croissance économique, afin de se prémunir contre les crises induites par une guerre économique contre lui. Pourtant, ces dernières années, cette politique a souvent mené à la diminution des revenus réels, qui étaient déjà faibles selon les normes occidentales. La politique d’austérité à long terme de l’économie russe lui permet d’avoir une dette publique par rapport au PIB de 18,2 % à la fin de 2021, en dépit d’une forte augmentation depuis 2019. Pour comparer, la dette publique par rapport au PIB de la France était de 112,9 % à la fin de 2021. Bien que la guerre et les sanctions avec l’inflation continueront à avoir un impact négatif sur les conditions de vie des Russes moyens, l’impact sera moins dur, car les Russes l’ont déjà partiellement devancé, rendant l’économie russe plus stable face aux sanctions. Comme dans toutes les guerres impérialistes, ce sont les prolétaires du pays qui paient le réel coût des sanctions économiques avec leur exploitation intensifiée et des salaires en baisse. Les impérialistes d’Amérique et d’Europe sont bien conscients de ce fait et ils ne s’en soucient pas. Leur but commun est de tout faire pour écraser l’impérialisme russe, leur concurrent immédiat.

Toutes les guerres impérialistes sont des crimes contre le peuple

Du côté ukrainien comme du côté russe, la liste des crimes de guerre s’allonge. Chaque camp essaie de désigner l’autre comme le méchant. Alors qu’apparaissent des images, des vidéos de violences et de tueries brutales commises par des soldats russes et ukrainiens, chaque camp continue de nier tout acte répréhensible de la part de ses propres soldats. Ceci est encore une tentative cynique de réduire la complexité politique de la guerre interimpérialiste en une simple question morale. Sans aucun doute, l’armée russe envahissante commet davantage d’actes pouvant être qualifiés de crimes de guerre. La Russie profère elle aussi des accusations de crimes de guerre contre le régime fantoche ukrainien et son armée nationaliste pour présenter ses actions sous un angle humanitaire. Selon la propagande russe, l’incursion militaire par le Donbass est une mission de secours pour les républiques «autonomes» assiégées par l’armée ukrainienne. De même, la Russie a justifié de l’incursion du sud vers le nord dans la région de Kherson comme une mission de secours pour détruire le barrage construit en 2014 par l’Ukraine qui bloque 85 % de l’approvisionnement en eau douce de la Crimée.

D’un point de vue prolétaire, parler de crimes de guerre au sein d’un conflit entre prédateurs impérialistes, c’est comme se plaindre d’être mouillé lors d’un orage. La rhétorique bourgeoise sur les crimes de guerre est un moyen de traiter les événements les plus horribles des guerres impérialistes comme quelque chose qui n’a rien à voir avec elles, absolvant ainsi l’impérialisme de ses crimes contre le peuple. En vérité, les guerres menées par les impérialistes sont dans leur totalité des crimes de guerre contre le prolétariat et la paysannerie, qui se retrouve toujours au bout des canons. La situation actuelle du peuple ukrainien, divisé, inorganisé et sans direction prolétarienne, rend indéniable le fait que «Sans armée populaire, le peuple n’a rien» ainsi que l’affirmait Mao Zedong.

L’impérialisme est vulnérable et peut être vaincu

L’invasion de l’Ukraine a tourné assez mal pour la Russie, qui s’attendait à une victoire rapide et facile, semblable à l’annexion de la Crimée en 2014. L’armée russe a été forcée de changer ses plans et d’abandonner sa poussée vers la capitale, Kiev, afin de prendre la partie sud du pays, le long de la mer Noire, dans le but de couper le pays de l’accès à la mer. Comme la défaite en 2021 des États-Unis par les talibans après 20 ans de guerre en Afghanistan, le succès de la résistance ukrainienne a de nouveau démontré que même les plus grandes puissances impérialistes peuvent être mises en difficulté, et même battues. Les facteurs déterminants dans la résistance aux armées impérialistes sont l’efficacité du peuple à apprendre à faire la guerre, en faisant la guerre et la patience pour épuiser l’occupant. Dans le cas de l’Ukraine, l’armée a été réorganisée et formée par des experts des armées de l’OTAN après 2014. Pour faire face à l’équipement militaire russe supérieur, les impérialistes occidentaux fournissent à l’armée ukrainienne des armes dont le but est de lui permettre de gagner la guerre économiquement, c’est-à-dire en épuisant les capacités économiques de l’armée occupante. Par exemple, les lance-missiles antichars FGM-148 Javelin des États-Unis et le Next generation Light Anti-tank Weapon (NLAW), développés par la Suède et le Royaume-Uni, permettent à l’armée ukrainienne de facilement détruire les chars russes depuis une distance sûre, en suivant automatiquement leurs cibles. Le coût d’un T-72, le char principal de l’armée russe, est de presque un million d’euros et le coût d’un BTR-80, un des véhicules de transport de troupes russe, est de plus de 500 000 euros. Pour comparer, le coût d’un missile Javelin est d’environ 200 000 euros et le coût d’un missile NLAW est de moins de 40 000 euros. Pour contrer les forces aériennes russes, l’armée ukrainienne est équipée du FIM-92 Stinger étasunien. Ce lance-missile sol-air peu coûteux, fourni aux moudjahids afghans pour vaincre l’occupation soviétique, permet d’abattre des hélicoptères de combat, tels que le Mil Mi-24 et Mi-35, déployés par la Russie en Ukraine et qui coûtent des dizaines de millions d’euros par unité.

Les armes peu coûteuses et faciles à utiliser permettent à n’importe quelle force de défense de rendre la guerre économiquement intenable à long terme pour le pays envahisseur. La contradiction entre la conception d’armes de plus en plus complexes et coûteuses et des options créatives, moins coûteuses, s’accentue dans l’intensification des contradictions interimpérialistes. Le coût des nouvelles armes continue d’augmenter dans un cycle sans fin, où les États impérialistes essaient de créer des armes meilleures que celles de leurs concurrents dans la «compétition des grandes puissances». Les armes les plus sophistiquées sont donc conçues pour la guerre symétrique, c’est-à-dire entre des armées de puissance semblable. Par contre, dans la guerre asymétrique, comme une guerre de guérilla lancée contre une armée moderne, un avantage en équipement militaire cher peut se transformer en faiblesse, en devenant une dépendance sur une charge économique insoutenable. Enfin, l’effet le plus important des arsenaux modernes de haute technologie des impérialistes est l’illusion de l’invincibilité devant les masses prolétariennes et paysannes du monde, mais chaque nouvelle guerre qu’ils déclenchent finit par être un plus grand désastre et une plus grande humiliation que la précédente, ce qui rend de plus en plus évidente la faiblesse du système impérialiste mondial. Ainsi, chaque échec militaire des impérialistes démontre que leur plus grande force est la division et la désorganisation du prolétariat.

Unir les masses pour écraser l’impérialisme

Face à la guerre en Europe, la position du prolétariat est comme toujours l’unité internationale de sa classe contre tous les impérialistes. Cela n’est pas un slogan abstrait, mais un devoir révolutionnaire qui se réalise dans une pratique qui doit unifier toutes les forces anti-impérialistes. Ce principe s’applique en France, comme en Ukraine, car la situation horrifique des Ukrainiens aujourd’hui est la future situation de toute l’humanité dès que la guerre interimpérialiste éclate en troisième guerre mondiale — sauf si le mouvement prolétaire ne reproduit pas la même erreur que les masses ukrainiennes, en se laissant diviser par des questions secondaires au profit de l’impérialisme. Surmonter de telles divisions pour créer une réelle direction prolétaire, qui peut unir et organiser les masses dans une armée populaire, constitue donc la tâche principale des communistes. C’est uniquement avec une armée populaire qu’il sera possible pour les prolétaires de profiter de la crise de l’impérialisme en répondant à la guerre impérialiste par la guerre populaire, dans tous les pays.

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