Théorie : Le rôle des syndicats dans la lutte des classes

Théorie : Le rôle des syndicats dans la lutte des classes

S’il y a bien un type d’organisation de masse qui a le vent en poupe depuis le début de 2023, c’est le syndicat. Tous les syndicats français rapportent des hausses record du nombre d’adhésions. En 5 mois, les chiffres de l’année 2022 sont déjà dépassés largement. Depuis janvier, on parle de plusieurs dizaines de milliers, sûrement proche de 100 000 personnes pour l’ensemble des syndicats réunis. C’est un élan de recrutement qui, en une seule fois, met à l’amende tous les partis politiques bourgeois.

Contrairement au « mouvement gazeux » de la France Insoumise où les « adhésions » sont des inscriptions en ligne, on parle pour les syndicats de réelles adhésions organisées en masse et de développement de nouvelles branches et syndicats locaux. À Pontivy dans le Morbihan, par exemple, un syndicat multi-professionnel CGT a pu être créé : il regroupe des prolétaires de l’agroalimentaire, des territoriaux… Ce n’est pas un exemple isolé.

Sans aucun doute, la médiatisation importante ainsi que le rôle de certains syndicats dans la lutte combative contre la réforme des retraites ont aidé. Pourtant, au final, le gouvernement n’a pas retiré son texte, et la mobilisation syndicale est restée sans suite. Alors qu’a-t-il manqué ? Et à quoi servent les syndicats ?

Le rôle historique du syndicat : l’organisation nécessaire et inévitable du prolétariat

Le syndicat est né de la lutte des prolétaires contre l’exploitation salariée. De façon évidente, comme les prolétaires n’ont pas d’autres armes, il leur était seulement possible de se grouper dans leurs ateliers, leurs usines, et au-delà, dans des organisations ouvrières pour défendre leurs droits.

Ainsi sont nés les syndicats. Ils ont beaucoup grandi au 19ème siècle. Dans une lutte de classes économique dure, ces premières organisations ont utilisé la grève contre les patrons et pour contraindre le gouvernement bourgeois à l’action. Pour ces raisons, les syndicats n’étaient pas des organisations légales : il a fallu attendre 1884 en France pour qu’ils soient autorisés.

Dès le début, le syndicat groupe les prolétaires par métier : métallos, textile, rail… Comme le seul critère est d’être salarié de ce métier, les syndicats ouvrent leurs portes largement. Ils deviennent donc des organisations de masse, dont le poids est déterminant dans la société. Petit à petit se développent des groupements de syndicats nationaux au-delà des corps de métiers isolés. La CGT est par exemple fondée en 1895 à Limoges, mais son origine se trouve dans une longue lignée d’organisations comme la Fédération des Bourses du Travail, entre autres.

Le révolutionnaire russe Lénine résume ainsi le rôle historique du syndicat sous le capitalisme : « Les syndicats ont marqué un progrès gigantesque de la classe ouvrière au début du développement du capitalisme ; ils ont marqué le passage de l’état de dispersion et d’impuissance où se trouvaient les ouvriers, aux premières ébauches du groupement de classe. Lorsque commença à se développer la forme suprême de l’union de classe des prolétaires, le parti révolutionnaire du prolétariat (qui ne méritera pas ce nom aussi longtemps qu’il ne saura pas lier les chefs, la classe et les masses en un tout homogène, indissoluble), les syndicats révélèrent inévitablement certains traits réactionnaires, une certaine étroitesse corporative, une certaine tendance à l’apolitisme, un certain esprit de routine, etc. Mais nulle part au monde le développement du prolétariat ne s’est fait et ne pouvait se faire autrement que par les syndicats, par l’action réciproque des syndicats et du parti de la classe ouvrière. » [1]

C’est pour cela qu’il parle du syndicat comme l’organisation « nécessaire et inévitable » du prolétariat. Né de la lutte de classes sous le capitalisme, le syndicat trouve ses bases dans cette lutte. Il n’est ainsi pas étonnant qu’une hausse de la lutte de classes comme aujourd’hui s’accompagne d’un sursaut syndical. Le Parti Communiste du Pérou écrit que « pour mener la lutte revendicative on utilise le syndicat et la grève, qui est la forme principale de lutte économique du prolétariat » [2].

 Le syndicalisme en France aujourd’hui

Aujourd’hui en France, les syndicats doivent être analysés précisément. L’ensemble des syndicats représentatifs, y compris la CGT, groupent environ 10 % de la population active salariée. Les syndicats français ne font plus clairement la distinction de classe car ils définissent leur cible comme l’ensemble des salariés. Cela rend leur composition de classe floue. Dans leur direction et leurs membres, la direction de la classe ouvrière n’est pas assurée.

Les masses les plus larges et profondes en France ne sont que peu syndiquées pour le moment. Chez les employés et ouvriers non-qualifiés, on est près de deux fois moins syndiqué que la moyenne. Le secteur public est également bien plus syndiqué que le secteur privé.

Le financement des confédérations repose en partie sur des subventions de l’État bourgeois et des monopoles privés. La CFDT, la CFTC, la CGT, FO et l’UNSA participent à Confédération Européenne des Syndicats (CES), une structure de l’Union Européenne destinée à promouvoir le « dialogue social » dans l’intérêt des bourgeoisies des différents pays européens. Le rôle de la social-démocratie (PS, PCF, LFI) dans les syndicats est également notable : Sophie Binet, cheffe de la CGT, a adhéré au PS plus jeune ; Laurent Brun, désormais n°2 de l’organisation, est membre du PCF, proche de sa direction.

Ces affiliations et financements ne remettent pas en question les luttes de classes menées localement et nationalement par les syndicats. Par contre, ils expliquent la tendance à la négociation et à la théorie du « dialogue social » que la bourgeoisie a élaboré à coup de millions de financements sur des dizaines d’années. La révolution socialiste est mise de côté car on ne mord pas la main qui nous nourrit. Il faut dénoncer ces aspects en ayant en tête que l’on veut convaincre les masses ouvrières qui, spontanément, suivent des leaders réformistes, bourgeois : « nous luttons contre « l’aristocratie ouvrière » au nom de la masse ouvrière et pour la gagner à nous ; nous combattons les leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe ouvrière. » [3] (Lénine)

Le plus important, c’est que dans la grève, la lutte syndicale et dans les bases syndicales, on trouve un nombre de prolétaires avancés avec un niveau élevé de conscience. Il faut s’unir avec ces gens. Il existe évidemment de la « conscience trade union »[4] (trade union signifie syndicat en anglais) qui, selon Lénine, est le point de vue étroit qui se développe spontanément dans les syndicats car les prolétaires se concentrent sur la lutte économique. Il y a aussi des points de vue corporatistes, de l’apolitisme, un esprit de routine… Mais ces aspects des syndicats sont hérités du capitalisme et de la division du travail, et il est infantile de penser les régler sans révolution et socialisme.

Du coup, il est primordial de faire de l’agitation dans les luttes syndicales, d’y participer pas seulement comme appuis ou soutiens, mais bel et bien comme force à part entière, prolétaires syndiqués ou non. Il faut prôner l’union à la base sur le principe de la classe qui nous unit, en appuyant sur les revendications justes. Et sans relâche, mener la propagande pour la révolution socialiste, qui est la seule voie vers l’émancipation du prolétariat en France.

Le syndicat est-il suffisant pour faire la révolution ? C’est en tout cas la théorie du syndicalisme révolutionnaire, qui a eu de l’influence en France au début du 20ème siècle, y compris dans la formation du Parti Communiste. Aujourd’hui, bien que ce courant ne soit plus très organisé, des réflexes syndicalistes révolutionnaires subsistent dans la conscience de classe en France.

Lénine a articulé la relation entre le Parti, l’État, le syndicat et les masses en prenant l’exemple de la jeune république soviétique qui venait d’être mise en place à l’époque. La place du Parti révolutionnaire du prolétariat ne peut pas être mise de côté, car le prolétariat a besoin de sa forme suprême d’organisation, une organisation pleinement politique, et pas principalement économique : c’est-à-dire le Parti.

Le syndicat a une place importante dans la lutte de classes sous le capitalisme, et il la conservera dans la révolution et le socialisme. Alors, le syndicat pourra devenir une réelle « école du communisme » et progressivement il permettra aux prolétaires d’accomplir la suppression de la division du travail. Il aura alors, sur la voie du communisme, accompli sa tâche historique nécessaire que le capitalisme lui a léguée.


[1] Lénine, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), 1920.

[2] PCP, Ligne de Masses, Ligne Politique Générale, 1988

[3] Lénine, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), 1920

[4] Lénine, Que Faire ?, 1902

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