Lula et le Brésil : au-delà du folklore, le gros business de l’agro-business

Lula et le Brésil : au-delà du folklore, le gros business de l’agro-business

Depuis avril, le Mouvement des sans-terre qui regroupe plus de 500 000 familles de paysans pauvres au Brésil a lancé une importante mobilisation. Des occupations d’exploitation agricoles ont été menées par les activistes. Alors que le MST a soutenu le Parti des Travailleurs et l’élection de Lula à la présidence, la politique menée ne satisfait pas les plus pauvres.

 

Au gouvernement de Lula, deux hommes s’affrontent sur les questions agricoles : d’une part Carlos Favaro, ministre l’agriculture, ex-sénateur de droite et ex-dirigeant de l’association des producteurs de soja du Mato Grosso ; de l’autre, Paulo Teixeira, député de Sao Paulo, militant Parti des travailleurs, proche des sans-terre, chargé du développement agraire. Mais ce duel est truqué.

Car Lula a les mains liées. Geraldo Alckmin, son ancien adversaire de droite, devenu « socialiste » pour les dernières élections, s’est imposé comme son vice-président. En effet, pour battre Bolsonaro et l’extrême-droite aux élections de 2022, il fallait la garantie pour les grands propriétaires et la majorité parlementaire de droite qu’il n’y aurait pas de dérive « gauchiste » du gouvernement. Quand on sait que l’un des principaux responsables de la répartition des terres dans le Nordeste[1], poursuivi pour corruption, est aussi le cousin du président de droite de l’Assemblée nationale (César Lira et Arthur Lira), on comprend qu’une politique agricole plus juste est quasiment impossible dans ce cadre institutionnel, perclus de népotisme et de corruption. D’où, sûrement, l’intérêt des voies révolutionnaires !

Les actions menées par le MST l’ont été grâce aux bases locales, animées par des paysans. Car cela fait bien longtemps que la direction du Mouvement a trahi[2] pour se vendre au Parti des Travailleurs, le parti historique de Lula. Suite aux actions en question, son gouvernement a fini par accorder en juin un plan de développement pour l’agriculture familiale, aux financements généreux (13 milliards d’euros) mais loin des revendications du Mouvement des sans-terre en termes de répartition des terres, de formation, de soutien technique et d’accompagnement des exploitants agricoles (et, surtout, loin de mettre fin au système des latifundio, les grands propriétaires terriens).

Car l’autre pôle de pression sur l’agriculture brésilienne, c’est bien-sûr le commerce international. Le Marché Commun de l’Amérique du Sud (MERCOSUR[3]) est en négociation avec l’Union Européenne depuis plusieurs années pour une « libéralisation » des échanges commerciaux. Doit-on rappeler que la plus longue frontière terrestre de la France est avec le Brésil, en Guyane ? Et la France est la principale puissance agricole européenne. Ainsi Macron est en première ligne dans ces négociations qui ont amené Lula à se lancer cette année dans une grande tournée des pays européens.

Un des points principaux qui a retardé la signature de l’accord concerne les normes « écologistes » des puissances capitalistes européennes. Des sanctions et des interdictions d’importer des produits agricoles liés à la déforestation ou au changement climatique seraient rendues possibles. Lula est réticent à ces mesures, bien que lors de la campagne électorale de 2022 au Brésil, il a promis la fin de la déforestation de son pays, en utilisant même ce sujet comme une arme électorale contre Bolsonaro. Du côté européen, les industriels espèrent pouvoir exporter avec un minimum de taxe des produits manufacturés, dont nos marchés sont déjà saturés. Du côté brésilien, des centaines de milliers de tonnes de viande, de soja, etc., attendent d’être délivrés des normes sociales et environnementales pour être servis aux consommateurs européens.

Les gouvernements de Lula comme de Macron recherchent un compromis sur le dos des prolétaires et sans considération réelle pour les problématiques écologiques. Le « greenwashing », c’est-à-dire un discours capitaliste dissimulé sous un vernis écologiste, bat son plein. Par opportunisme électoral, un discours plus social est même employé, par la droite libérale comme par l’extrême-droite autoritaire pour berner les populations, sur tous les continents. Nous n’en sommes pas dupes.


[1] Grande région agricole et pauvre du nord du Brésil.

[2] Le Mouvement des sans-terre a été fondé en 1985. Dès 1995, sa direction trahit, abandonnant la voie révolutionnaire au profit du réformisme à travers le Parti des Travailleurs. Les révolutionnaires membres du MST font scission, ce qui aboutit au bout d’un long processus à la fondation de la Ligue des Paysans Pauvres (LCP) en 2000. Contrairement au MST, qui a abandonné la lutte contre les latifundio (grands propriétaires terriens), se concentrant sur la défense de l’ « agroécologie », la LCP continue aujourd’hui à porter la voie révolutionnaire autour de la question de la terre.

[3] Communauté économique qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay, le Chili, la Colombie, le Pérou et l’Équateur.

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