Interview d’un infirmier en psychiatrie au CHU de Saint-Étienne

La Cause du Peuple a pu interviewer un infirmier en psychiatrie au CHU de Saint-Étienne. Membre du collectif de soignants en psychiatrie « Psy Cause », cet infirmier nous parle de la crise du Covid-19, des difficultés dans son travail, des mobilisations en cours, des plans de restructurations et de la mobilisation à venir le mardi 30 juin.

La Cause du Peuple : bonjour, Un plan de réorganisation était prévu au CHU de Saint-Étienne, est-ce toujours en route ?

C’est ça, c’est pas un plan de « restructuration » mais de « réorganisation » qui a lieu comme par hasard « en post covid », on ne sait même pas les retentissements qu’il fera, en plus de l’impact de toutes les reprogrammations de soins « non urgents ». Le covid nous a imposé de nous réorganiser, il y a énormément de services qui sont passés à travailler en 12h ce qui ne se faisait pas avant. Ils auraient dû consulter les différentes organisations syndicales et les différentes instances, ce qu’ils n’ont pas fait comme ils étaient en plan d’urgence, tout passe, et maintenant ils commencent à dire « on va peut-être les laisser les douze heures » Du point de vue d’un salarié ça permet moins de trajets puis au bout de quelques années, tu te rends compte de la fatigue. Pour la direction, il y a moins de roulement, donc moins de personne pour faire le même boulot, donc ça fait des économies. Alors quand ils passent un service en douze heures, ils disent pas : « vous étiez dix maintenant on a besoin que de huit personnes », mais petit à petit une personne sert au remplacement, une personne part à la retraite ou sinon quelques années plus tard, ils disent au personnel « mais vous êtes dix, vous devriez être huit, donc ce poste qui part à la retraite on va pas le remplacer ou ce poste on va le transférer là-bas », c’est toujours comme ça que ça se passe. Le point positif c’est les mobilisations qu’on a faites et la communication dans les médias. Moi je suis en psychiatrie, c’était clair qu’il y avait quatre lits d’urgence pédo psychiatrie qui allaient fermer mais suite à la mobilisation la direction dit n’avoir jamais eu l’intention de les fermer, donc quel été l’intérêt de les déplacer ? Donc la mobilisation a fait bouger les lignes même si on le voit pas forcément donc ça incite à se mobiliser, se renseigner et à dénoncer ces choses là.

La Cause du Peuple : du coup, c’est difficile de savoir ce qu’il va se passer ?

C’est ce qui est très angoissant pour le personnel, c’est que c’est jamais clair quand vous êtes « en bas de l’échelle », vous avez les informations de votre cadre qui ont les informations de leur cadre sup mais suivant le cadre que vous avez, quelles informations il donne, quelles infos il ne donne pas parce qu’il veut pas ou parce qu’il ne peut pas, parce qu’ils y a des informations qui se donnent en réunion de cadre qu’ils ne faut pas transmettre aux équipes, pareil pour les cadres supérieurs, les directeurs de soins et ça devient à qui va chercher à tirer son épingle du jeu. Ça incite à se taire si son service n’était pas impacté au départ, pour que ça nous tombe pas dessus. Alors c’est là qu’on devrait tous se mobiliser les uns pour les autres à chaque fois comme ce qui s’est passé pour ce mouvement spontané de personnel de 300 personnes, tous services confondus.

La Cause du Peuple : ce n’est pas la CGT qui a initié le mouvement du 14 mai suite au plan de réorganisation ?

Non, la CGT avait une réunion par semaine avec un représentant par organisation syndicale seulement de 3H, pas non plus de CHSCT (comité d’hygiène de sécurité et conditions de travail), si on en a pas besoin en temps de crise, je me demande l’utilité quand il y a pas de crise. On était en manque d’informations, on avait celles de nos collègues sur le terrain et celles du représentant syndical, et la mise en place des informations sur le terrain était totalement différente alors qu’il n’y avait pas d’urgence. On était totalement absent et complètement passifs, certainement trop. Puis au déconfinement, tel service a appris qu’il allait perdre des lits, un autre qu’il y avait une fusion de prévue, un autre une restructuration, plein de gens ont été touchés au même moment, c’est rare, souvent on a des mobilisations très corporatistes, par service. Il y a un clivage entre service qui marche très bien alors que le problème du moment c’est qu’il faut toujours faire plus avec moins ou avec autant et c’est ça qui doit nous réunir. Et là, tout le monde s’est motivé pour la manif du mardi 16 juin, parce qu’il n’y a qu’en étant nombreux à se mobiliser et à communiquer qu’on peut faire évoluer les choses. Le problème c’est qu’on arrive à éviter des choses qui ne vont pas dans le bon sens, mais c’est pas non plus satisfaisant, parce que ça va déjà mal, on arrive à conserver un peu d’humanisme, mais pas à améliorer les conditions d’accueil et de soins. Il faudrait être vraiment nombreux pour faire voler en éclats toutes ces techniques de management et de restructuration. Ils font des groupes de travail, mais après les gens n’ont plus leur mot à dire puis la direction prendra en fonction de ce qu’ils veulent ou pas : « on a entendu mais c’est pas possible » et après ils pondent un truc. Mais clairement les gens ne sont pas consultés, pas entendus. Je dis pas que la parole des gens du terrain est forcément bonne, mais quand même quand t’es au lit du patient ou les techniciens dans les caves, c’est bien eux qui peuvent parler de la galère de tous les jours. Quand par exemple, il a été question de fermer ces lits de pédo psychiatrie d’urgence, le médecin n’était même pas au courant et tout ça c’est très clivant, ensuite les infirmières lui reprochaient de pas les avoir tenu au courant.

La Cause du Peuple : il y a la concertation de la Segur de la santé qui est en cours, il y a peu d’infirmiers et infirmières, ni le collectif inter hôpitaux (CIH), est ce que t’en attends quelque chose ?

Je suis désabusé, mais s’il ressort quelque chose de positif, ce sera très bien, avec le CIH de Saint Étienne et la Psy cause on a proposé d’être entendu par l’ARS (Agence régionale de santé) mais on n’a pas eu de réponse. C’est comme la grande concertation pour les gilets jaunes, ils diront qu’ils ont entendu, qu’ils ont reçu puis ça finira au plein milieu du mois de juillet et deux mois dans l’actualité c’est pas possible. Ce qui m’inquiète le plus, c’est quand le ministre de la santé a créé le Ségur, il a dit à peu près : « Ça confirme « le plan « Ma santé 2022 », donc le reproche qu’on peut se faire c’est qu’on a pas été assez vite et assez fort » je suis pas du tout d’accord avec ce plan-là et si il a pas été assez vite et assez fort c’est qu’on a limité la casse, donc quand il commence le Ségur en disant ça, tu sais que la conclusion est déjà écrite et que ça va être la confirmation du plan « ma santé 2022 », c’est qu’il va falloir le faire passer encore plus vite. Après la prise de conscience de la population par rapport aux hôpitaux, aux soignants… Le point d’indice est gelé depuis 10/15 ans, ils vont faire un truc mais pour qui ils vont le faire ? Ce qui explique que les salaires soient vraiment bas et certains au-dessous du SMIC, donc ils sont obligés de mettre un truc pour compenser. Et s’ils augmentent le point d’indice, tout le monde qui est payé, doit voir son salaire augmenter et au minimum de 300 euros.

La Cause du Peuple : tu trouves ça triste que la prise de conscience de la population se soit faite avec la crise du Covid ?

Je pense les patients qui ont l’impression d’être maltraités, mal pris en charge etc… se disent qu’on les considère pas, c’est plus difficile de s’apercevoir qu’avant il y avait plus de soignants, plus de moyens, pas les mêmes responsabilités, pas de tarification à l’acte ce qui fait qu’on va te faire faire des examens dont t’as pas besoin ou on va ne pas te faire faire des examens dont tu aurais éventuellement besoin. C’est pas si facile à lier, les patients qui s’estiment lésés sont plus dans une phase de colère et ils se résignent parce que c’est une structure énorme. Il peut aussi y avoir des soignants qui deviennent maltraitants, parce qu’ils sont pressés comme des citrons, et c’est difficile quand t’es en train de souffrir d’arriver à remettre en cause tout ça. Et là, le coronavirus, on a bien vu l’importance d’avoir un hôpital solide, réactif… Ce que je ne sais pas c’est si les gens se rendent compte que l’hôpital marche en service minimum, on est en flux tendu tout le temps, alors dès qu’il y a un grain de sable dans la machine, c’est le bordel, c’est ce qu’on voit toute l’année. Mais il y a ce côté-là, le soignant il a pas le choix, il faut soigner même si les moyens ne sont pas là mais ça peut pas marcher comme ça tout le temps, les gens sont fatigués de leurs conditions de travail habituelles. Le Covid, on s’en est bien sorti, on a su s’adapter, créer des lits mais faut voir les conséquences parce que le gouvernement se vante d’avoir ouverts des lits de réanimation mais on a pas ouvert de lits, on a remplacé des lits d’autres spécialités par des lits de réanimation, alors qu’on était obligé de faire ça parce qu’on avait pas le choix et donc les soins non urgents ont été déprogrammés et là on récupère des gens avec une maladie dégradée, en moins bonne santé et nous, toujours du boulot, mais plus d’applaudissements puis on était déjà dans le rouge, donc c’est chaud...

La Cause du Peuple : qu’est-ce que tu penses des applaudissements à 20 heures mis en place par le gouvernement ?

Alors ce n’est pas eux qui ont mis en place les applaudissements, ils ont repris en disant que c’était très bien. Je pense que c’est de la com’, mais ils sont marrants, ils allument l’incendie, puis pendant que certains essayent d’éteindre le feu, ils disent « regardez les gens applaudissent, c’est bien » et ils sont en train de rajouter de l’essence, moi ça me fait rager de voir ça. Et ce qui me fait le plus rager c’est de me demander si ça passe auprès de l’opinion public. J’ai l’impression par contre que les gens sont de plus en plus avertis et de moins en moins dupes par rapport à toutes ces techniques de communication.

La Cause du Peuple : le collectif dont tu fais parti la Psy Cause, ça a été créé en 2018, c’est ça ?

Oui, suite au passage du contrôleur général des lieux de privation de liberté, le CGLPL qui émane de la cour européenne des droits de l’homme. Ça allait mal depuis un moment, on gueulait dans les instances puis quand ils sont passés, ils ont constaté l’atrocité de l’accueil en psychiatrie, surtout l’accueil des patients aux urgences. Quand les patients arrivent, ils doivent faire un bilan somatique aux urgences générales et après ils doivent être vus par une équipe d’urgence psychiatrique qui décide s’il y a besoin d’hospitaliser. Si oui ils vont aux urgences psychiatriques en attendant que des lits se libèrent dans les services. Du coup, une fois que les urgences générales ont piqué leur bilan, ils doivent attendre que l’équipe de psychiatrie vienne, mais quand la personne délire, au bout de quelques heures, ça devient pénible. C’est la guerre pour savoir qui s’occupe du patient entre temps parce qu’il y a ni les moyens aux urgences générales ni aux urgences psychiatriques. Donc les patients attendaient aux urgences, et pour ceux qui étaient ingérables, la seule solution qu’on a, vu qu’on a pas les moyens humains, c’est de les attacher sur des brancards et ceux qui étaient pas agités devaient attendre sur des chaises pendant des heures, sans repas, sans douche. Et donc quand le CGLPL a vu sept patients contenus, dont un depuis plus 5 jours… On a du mal à se mettre en conformité avec la loi, parce que faut plus attacher, mais attacher quelqu’un c’est pas normal et ça devrait rester le truc de dernier recours et pas celui de « confort », et du coup on est pas plus nombreux et il faut faire avec des personnes en crise.

La Cause du Peuple : il y a eu des moyens en plus suite à cette visite ?

On s’est mobilisé pendant un an, on nous a dit qu’il y avait pas de projet médical de pôle, alors d’où vient le problème ? Comment fait un pôle pour tourner sans projet ? Il a fallu faire à la va vite, on consulte les personnes, on fait des groupes de travail, toutes les suppositions sont faites et on revient dessus, c’était hyper angoissant pour les équipes. En un an il y a eu quatre projets différents rien que pour les urgences psychiatriques. Donc on a fini par se mobiliser jusqu’à faire une grève illimitée de cinq mois. Et un jour on comprend que si on arrête la grève, l’ARS donne 500 000 euros de plus chaque année pour la psychiatrie de Saint Étienne. D’un coté 1% d’augmentation du budget, on est loin de ce qu’on devrait mettre, puis où vont aller ces 500 000 euros ? Mais en même temps si on a un peu plus on arrivera à mieux travailler ,puis ça nous use cinq mois de grève. C’était aussi une petite victoire, j’avais jamais vu l’ARS donner de la thune. On a proposé de faire un consensus sur l’attribution de l’argent, mais ça a attisé les petites guerres entre services, et maintenant 2 ans plus tard on commence à savoir ce qu’on va faire de l’argent, c’est un projet qui ne nous satisfait pas, mais bon…

La Cause du Peuple : les conditions pour les patients sont-elles meilleures ?

Alors ça a cassé les habitudes qu’on avait de travailler : fermer, attacher, cachettonner. Ça nous a requestionné sur notre manière de faire et pourquoi on le faisait comme ça, c’était pas pour le bien du patient ou pour le bien du soignant mais pour le bien de l’institution qui ne nous permettait pas mieux. La formation a été plus centrée sur la désescalade de la violence plutôt que sur la gestion de la violence et de l’agressivité physique, et nous dans notre décret de compétences, c’est pas marqué que c’est à l’infirmière d’attraper le patient et de l’attacher. Et du coté institutionnel, on part plus sur des chambres seules, malgré le fait qu’on ait moins de place étant donné qu’on a fermé un service. Pour faire place nette aux urgences suite aux préconisations d’urgence de la CGLPL, on a hospitalisé des gens dans des bureaux, sans toilettes ni lavabo, il y a eu des trucs rocambolesques, parce que oui le patient est mieux sur un lit que sur un brancard dans un couloir des urgences mais alors je crains qu’un jour on dise « le patient il est mieux sur un brancard des urgences que sur un trottoir.« 

La Cause du peuple : et pendant la crise du coronavirus, est ce que les patients étaient pris en charge autrement ? Y-a-t-il eu plus de patients ?

Non, on se doutait qu’on n’aurait pas plus de monde tout de suite, parce que certains vont être stressé, parce que les patients vont aller mal, mais c’est pas du jour au lendemain, c’est un peu insidieux, peut-être dû au coronavirus ou à l’impact du confinement, c’est des dégradations assez lentes, même l’entourage ne s’en rend pas forcement compte, on savait qu’on aurait un truc à contre coup, on l’a pas vraiment eu, mais ça a été la grosse désorganisation. Pendant trois mois, toutes les deux semaines, il y avait des informations contraires, alors oui c’est une période de crise mais c’est hyper bordélique, on a pas eu d’afflux massif. Il y a aussi eu un gros boulot des CMP (centres médico psychologiques) et des équipes mobiles et hôpitaux de jour.

La Cause du Peuple : et dernière question, qu’est-ce que peuvent faire les usagers de l’hôpital public pour supporter le mouvement ?

Le faire savoir autour d’eux, expliquer pourquoi ça va mal et comment ça pourrait aller mieux, se tenir informés de ce que font les collectifs et syndicats pour voir que d’autres choses sont possibles, se mobiliser comme le mardi 30 juin et tous les autres mardis de la colère.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *