Interview des « Descours et Cabaud » en grève !

Ce vendredi 25 septembre, les ouvriers de chez Descours et Cabaud sont en grève. Nous sommes allés à leur rencontre pour  savoir plus précisément pourquoi ils sont en grève et parler de leur quotidien au sein de l’usine.

A partir des années 1600, Nantes est devenu un des plus grands ports coloniaux de l’Etat français et une plateforme de la traite négrière jusqu’à son abolition. Au cours du XIXeme siècle et du XXeme siècle Nantes est devenu un bastion ouvrier. C’est la terre des bourses du travail, de luttes acharnées d’ouvriers et d’ouvrières, des dockers, des luttes paysannes, de la commune de mai 1968 etc… Nantes est une ville où les luttes de notre classe furent intenses, violentes et parfois victorieuses. Il y avait des usines partout autour et dans la ville. (Lu, Vinaigre Caroff, les Batignolles, les docks, les chantiers navals, usine textile, Beghin Say…). Jusqu’à la restructuration du capitalisme dans les années 70 et la fermeture massive des usines.

Cependant il y reste encore quelques usines. Et celle de Descours et Cabaud situé sur le port autonome est un fer de lance de la combativité de la classe ouvrière sur Nantes. Leur solidarité et leur abnégation doit être un exemple pour notre classe. C’est aussi pour ça que nous sommes allés sur leur piquet de grève. Nous y avons discuté avec plusieurs ouvriers et chefs d’ateliers, syndiqués à la CGT.

CDP : Raconte nous comment se passe la lutte dans cette usine ?

Délégué CGT : On lutte depuis 4 ans (ndlr loi travail). On s’est investi dans le syndicat pour changer nos conditions de travail et la qualité de vie au travail. On est quand même à notre 4ème patron depuis 2016. 4 ans de lutte c’est pas si simple, c’est une guéguerre perpétuelle de syndicat contre patrons.
Il y a eu une lutte particulière en 2017. On a fait grève 6 semaines consécutives. On a tenu et on a obtenu une revalorisation des salaires assez conséquente, pour les anciens c’est quasi 300€ net de plus. Le salaire de base a augmenté avec des créations de primes d’équipe, primes d’activité…
On a combattu aussi pour la sécurité dans l’usine, pour les salariés. Il y avait un taux d’accident de travail record ! On a lutté avec le soutien de l’inspection du travail, de la CARSAT et de la CGT. On a contraint les patrons a mettre les moyens. Ça a fini par porter ses fruits, la courbe des accidents du travail a chuté.
Après, ce qui minait le plus c’était l’organisation du travail : il y avait un turn over sans fin, beaucoup d’intérimaires. Ça mine le moral, physiquement aussi, des démissions, des arrêts. L’organisation des ouvriers au sein de la CGT a réussi à freiner tout ça. On fait en sorte que les salariés restent, évoluent, que leur salaire augmente. On tient ! Et surtout on essaie de faire appliquer la convention collective le plus rigoureusement.

CDP : Et aujourd’hui tu peux nous dire pourquoi vous êtes en grève ?

Délégué CGT : On a déjà mené d’autres luttes. Le 3ème patron qu’on a eu, c’était avant le confinement (ndlr fèvrier 2020). Il venait d’un cabinet pour « redresser logistiquement et humainement » l’entreprise. Malgré le fait que ce soit un patron, il était pro et à l’écoute, « humain ». On avait jamais connu ça. On a senti avoir été entendu, que notre parole avait été prise en compte. Puis badaboum, Covid, on change encore de patron en juillet. Au lieu d’un logisticien on a un commercial. Tout ce qui avait été mis en place avec le précédent patron retombe à l’eau. Tout le monde s’est découragé. Mais on atteignait les limites de la connerie. C’est un métier dangereux qu’on fait donc on a besoin de travailler sereinement. Et comme on a vu qu’on pouvait avoir quelqu’un de professionnel à la tête de l’entreprise qui prend en compte notre parole, on veut la démission de ce patron . Et on veut aussi de l’embauche car on est en sous-effectif, quand il y a des arrêts maladies, des accidents, il n’y a pas de remplacements.

CDP : Comment vous envisagez cette grève du coup ?

Délégué CGT : On fait cette grève pour provoquer un élétrochoc chez nos dirigeants pour que les choses changent. Le siège social est à Lyon. Et il y a deux DRH qui vont monter sur Nantes la semaine prochaine pour voir comment régler le problème. On a déjà entamé le dialogue. Après on est pas des lapins de 3 semaines, on va attendre des faits et des actes. On sait en tout cas que le rapport de force est en notre faveur. On demande l’embauche de 8 personnes en CDI minimum. On pense que ça ce sera sûrement des intérimaires au début mais ce sera progressif.
Aujourd’hui c’est « symbolique ». On aurait pu faire sous forme de débrayage etc.. mais cette grève n’était pas pour embêter la production mais pour faire réagir le siège social.

On est 36 salariés. 0 ouvrier, 0 chef d’équipe ne travaille aujourd’hui. Le mal être est aussi dans les bureaux. Ils disent rien mais n’en pensent pas moins sur ce patron. Chez les ouvriers tout le monde est syndiqué sauf 1. Et 2 chefs d’équipe sont aussi à la CGT. Tout le monde a pris conscience que c’est ensemble et à plusieurs qu’on peut gagner, qu’on peut faire changer les choses. Comme on dit dans les manifestations, et ça les ouvriers l’ont compris, « la force des travailleurs, c’est la grève ». Et la grève, c’est le bras de fer.

C’est comme ça qu’on se fait entendre.

CDP : tu peux nous dire quelques mots sur l’entreprise ?

Délégué CGT : Descours et Cabaud c’est quand même la 12eme famille la plus riche de France ! Il y a plus de 13000 salariés étalés sur 14 pays en Europe avec des réseaux de distribution à l’international. En 2019 c’est plus de 3,9 milliards de chiffre d’affaire.

(Ndlr : Le groupe Descours et Cabaud existe depuis la fin du 18e siècle. Le groupe a particulièrement bénéficié du colonialisme français, puisqu’au début du 20e siècle, il était présent dans l’empire colonial français, en Algérie, en Indochine, au Maroc et en Afrique subsaharienne où il avait plusieurs filiales dans plusieurs pays. Aujourd’hui il est présent presque partout dans le monde, via le rachat d’entreprises dans les pays où il s’étend.)

On interviewe un autre gréviste, cette fois un jeune chef d’équipe syndiqué aussi.

CDP : Raconte nous un peu ton parcours, pourquoi et comment tu t’es investi dans la lutte.

Chef d’équipe : Alors, je suis chef d’équipe depuis pas longtemps. Mais je suis en probation depuis 6 mois. Je suis le seul à m’etre présenté au poste. Ils (ndlr la direction) m’ont posé un tas de questions, sur mon mental etc. Personne n’a compris ! J’ai 4 ans d’expérience, j’ai fait tous les postes, j’avais l’aval des collègues pour passer chef, je leur avais demandé. Peut être parce que je suis syndiqué. Mais à cause du problème de sous-effectif, je ne fais pas pleinement mon rôle de chef d’équipe. Je remplace souvent sur d’autres postes.

CDP : Et tu es syndiqué depuis longtemps ?

Chef d’équipe : Depuis 3 ans. J’ai suivi toutes les luttes, sauf la première. J’étais encore intérimaire et mes collègues qui étaient en grève me disaient « vas y, va bosser, t’inquiète, on comprend ». Mais dès que j’ai été embauché, je me suis syndiqué à la CGT et j’ai lutté.

CDP : Tu trouves qu’il y a un avant et un après ? (après les luttes et les grèves)

Chef d’équipe : Oui complètement. Ici quand je suis arrivé, c’était les années 50. C’était du vieux matériel, aucune sécurité etc. On avait même fait une banderole : « Descours et Cabaud, c’est Germinal ». Tout avait avancé dans le temps, sauf dans l’usine. On y a mis fin par la lutte.

Maintenant il y a d’autres soucis. L’usure mentale, physique quand tu sais ce que tu as à faire mais qu’on a pas les moyens de le faire. Et ils (les patrons) le savent très bien. Faut pas courir, mais, quand on voit les objectifs, on sait qu’on doit courir et après… c’est pour ça qu’on est là.

CDP : tu travailles combien d’heures par semaine ?

Chef d’équipe : Ici, 35 heures. Il y a eu des propositions de venir travailler le samedi. Mais ça ne nous convenait pas. Ils ne  voulaient que 4 personnes. Ça met des collègues de coté. Ici il y a des salariés handicapés. Ils se retrouvent sur un seul poste, ils ne pourraient  pas venir bosser le samedi. Ça voudrait dire que nous on prendrait de l’argent plus qu’eux parce qu’ils ne peuvent pas changer de poste aussi facilement ? Non, c’est un travail d’équipe, soit on fait équipe au complet soit on ne vient pas. Et la mentalité est pareil pour tous.

CDP : Vous êtes combien de chefs d’équipe ? Tu penses qu’il en faudrait combien ?

Chef d’équipe : On est 4. Deux de jours et deux de nuit. Il faudrait des suppléants à chaque poste. Parce qu’on a notre manière de travailler et d’organiser la production. En cas de maladie, d’arrêt, de vacance, quelqu’un d’autre vient nous remplacer et change l’organisation du travail. Ça crée des conflits et de l’incompréhension. En terme de bien être et d’organisation c’est plus viable. Il nous faudrait plus d’ouvriers. Ça nous manque cruellement.

CDP : Tu as parlé de collègues handicapés, tu peux nous en dire plus ?

Chef d’équipe : Les postes sont assez adaptés pour eux, mais pas tous les postes comme monter sur les camions par exemple. Souvent ils sont à la scie. Ils ne portent pas de chute (tôles d’acier ndlr), il y a les gros aimants qui aident et tout.

CDP : Un dernier mot ? Comment apporter notre soutien de l’extérieur ?

Chef d’équipe : J’espère que ça va changer. Niveau syndical, on est bien suivi, on est bien soutenu. Si on a des questions, des problèmes, on trouve des réponses. L’UL de Nantes est à fond derrière nous depuis le début.
Et pour nous soutenir, faut venir sur place pour échanger pour comprendre notre lutte, notre quotidien. Pourquoi pas apporter des solutions auxquelles on aurait peut être pas pensé… en terme d’organisation et de lutte. Après on commence à avoir l’habitude de lutter. Ça peut aider des fois, quand t’es dans le doute, quand tu parles à des gens, de l’extérieur, ça réconforte dans nos choix, ça donne confiance.

(Fin de l’interview)

La situation à Descours et Cabaud est symptomatique de l’organisation absurde du travail imposée par le capitalisme. Ce ne sont pas des personnes qui connaissent le métier et sa réalité qui décident, qui disent où il faut des postes, qui disent quelles méthodes utiliser. Ce sont des managers sortis d’écoles où ils n’apprennent rien, qui ne savent pas comment tourne une usine et savent juste regarder le nombre de camions qui rentrent et qui sortent.

Par la lutte, les ouvriers peuvent arracher une amélioration de leurs conditions de travail et gagner leur place à la table des décisions. Mais constamment la bourgeoisie revient à la charge imposer ses fonctionnements absurdes et anarchiques, guidée uniquement par sa logique de profit à court terme. Seule la prise du pouvoir par notre classe, par les travailleurs et les travailleuses permettra de mettre fin à ce système destructeur et à la dictature de la bourgeoisie sur nos vies. Pour prendre le pouvoir, il nous faut nous organiser au sein du parti de notre classe et de ses organisations.

Les ouvriers de Descours et Cabaud sont un exemple pour notre classe, un exemple de sa combativité et de sa solidarité. Rallions nous derrière eux, comme nous devons nous rallier derrière toutes les sections en lutte de notre classe pour mener partout l’assaut contre le capitalisme et ses chiens de garde.

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