Incident chimique aux États-Unis : le capitalisme nous empoisonne

Incident chimique aux États-Unis : le capitalisme nous empoisonne

Le 3 février, un train déraille dans l’Ohio. Le problème, c’est qu’il contient des tonnes de produits chimiques hautement toxiques et cancérigènes qui vont être déversés dans la nature. Le plus atroce dans cette histoire ? Le drame aurait pu être minimisé, voire évité.

Le chlorure de vinyle est un composé chimique souvent utilisé dans la fabrication de plastique PVC. À température ambiante, il se présente sous la forme d’un gaz toxique totalement incolore et hautement inflammable. Sauf que parmi la cinquantaine de wagons qui ont déraillé aux États-Unis, à East Palestine dans l’Ohio, une vingtaine en étaient pleins. En plus, quand le chlorure de vinyle brûle, il libère des fumées toxiques : chlorure d’hydrogène, phosgène, monoxyde de carbone… Sauf qu’après l’accident, les autorités américaines ont pris la décision d’enflammer eux même le contenu des wagons afin d’éviter une explosion non contrôlée. Les photos de la colonne de fumée noire et opaque s’échappant de l’incendie font froid dans le dos. Et ce qui est tout aussi glaçant, c’est de savoir que des solutions alternatives plus lentes auraient pu être envisagées afin de diminuer les risques à court et long terme pour la population et l’écosystème local.

Mais les capitalistes ont bien appris leur leçon : le temps c’est de l’argent. Le capitalisme s’est développé grâce aux chemins de fer, rouages essentiels de ce système. Un axe ferroviaire bloqué « trop » longtemps, c’est moins de matières premières et de marchandises acheminées, et donc une baisse des profits.  D’autant que le transport de marchandises par rail aux États-Unis est particulièrement efficace, et transporte 38 % du volume total des marchandises. Les compagnies de chemin fer y possèdent et exploitent plus de 225 000 kilomètres de lignes, et réalisent un chiffre d’affaires de plus de 80 milliards de dollars chaque année. L’enjeu économique derrière le fonctionnement de ces rails est donc immense. Alors forcément, le gouvernement yankee a choisi l’option la plus rapide, même si c’est la plus dangereuse : celle de se débarrasser des produits chimiques par une explosion « contrôlée », quitte à ce qu’ils se répandent dans l’environnement. Et le Parti démocrate au pouvoir a aussi tout fait pour passer l’affaire sous silence, et s’éviter une mauvaise presse. Ils sont même allés jusqu’à l’arrestation d’un journaliste qui tentait de se rendre sur place pour couvrir le sujet. La complicité du gouvernement yankee dans cette gestion calamiteuse de l’accident n’est qu’une preuve de plus que l’appareil politique bourgeois n’a aucune considération pour la vie de ses habitants. Industriels et politiques font corps dans la protection du capital. Ce silence est d’autant plus grave qu’il est du pain béni pour l’extrême droite américaine et les complotistes. Donald Trump, leur plus fier représentant, n’a pas attendu pour se rendre sur place et tirer son épingle du jeu, en jouant la carte du politicien compatissant, contrairement à toute la caste démocrate du pays ! Bien sûr, ce n’est pour l’extrême droite américaine qu’un énième jeu de pouvoir, plutôt qu’un réel drame humain et environnemental.

Et comme à chacun de ces désastres, les instituts d’études ne connaissent pas ou sous-estiment (en étant bien souvent complices des autorités locales) les effets de long terme sur la santé humaine. Ainsi, l’EPA[1] a déclaré le 12 février que la pollution au chlorure de vinyle et chlorure d’hydrogène était négligeable, l’eau potable et l’air non pollué. On peut déjà douter de ces résultats, mais il faut aussi noter que l’agence n’a pas recherché la présence de phosgène… Qui est pourtant un gaz tellement toxique qu’il est considéré comme une arme chimique[2] et est interdit par la convention de Genève. Les populations sont condamnées à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête suite à l’exposition aux produits chimiques toxiques, n’ayant souvent pas le luxe de déménager. La catastrophe à East Palestine est loin d’être un cas isolé ! En France, on attend encore des nouvelles concernant les retombées sanitaires de l’explosion de l’usine pétrochimique de Lubrizol. Et ce sont toujours les plus pauvres qui payent le prix des crimes « accidentels » de la bourgeoisie : par exemple, l’État français relègue systématiquement les populations roms dans des aires d’accueil proches de zones industrielles, de périphériques et d’usines classées Seveso[3] où la qualité de l’air présente de grands risques pour la santé. Des procès impliquant la responsabilité pénale de grands industriels dans la mort et l’empoisonnement de populations se tiennent toujours des décennies après. Partout dans le monde, c’est le même système qui nous empoisonne. Le prolétariat est la première victime des risques industriels, la misère les maintenant captifs des zones polluées.

Et c’est sans parler du désastre pour l’ensemble de l’écosystème. La colonne de fumée polluante qui s’est dégagée suite au déraillement et à l’incendie s’est déplacée pendant 11 jours le long de la rivière Ohio avant de se dissiper. Or cette rivière est une source d’eau potable pour 5 millions de personnes, et un élément essentiel pour la survie de la faune et la flore locales. La zone est désormais polluée et des émanations toxiques vont sans doute perdurer, en particulier lorsqu’il pleuvra. Dans les ruisseaux alentours, on peut observer des reflets huileux dans l’eau et des poissons morts. Les autorités locales ont elles-mêmes fini par admettre en partie le désastre, décomptant plus de 43 000 animaux morts au 23 février, principalement des poissons et autres animaux aquatiques. Mais l’EPA continue d’affirmer que les produits chimiques n’ont pas eu d’effet sur les animaux terrestres… Alors même que de nombreux habitants d’East Palestine, une petite ville ouvrière, ont témoigné que leurs bêtes et animaux de compagnie avaient eu des difficultés respiratoires, voire des arrêts cardiaques. Et lors des réunions publiques, beaucoup ont expliqué avoir des nausées, des maux de tête, les yeux qui brûlent. Il est probable que les effets les plus graves ne pourront être pleinement mesurés qu’au long terme, à travers des cas des cancers : une aubaine pour les coupables, qui peuvent en attendant nier toute responsabilité.

Dans l’affaire du train d’Ohio, c’est la compagnie ferroviaire Norfolk Southern qui est la première responsable. Aux États-Unis, le réseau de chemins de fer est détenu par des compagnies ferroviaires privées qui exploitent leurs propres voies. Norfolk Southern est le quatrième plus grand réseau de chemins de fer du pays, avec un revenu record de 12,7 milliards de dollars l’année dernière. Mais les cheminots de la compagnie avaient alerté depuis longtemps sur l’état désastreux des lignes ferroviaires états-uniennes, sans que leurs revendications légitimes ne débouchent sur un investissement. Au contraire, ce sont 20 000 d’entre eux qui ont été licenciés entre 2018 et 2019. C’est une nouvelle preuve qu’on ne peut se fier qu’aux travailleurs, les seuls à se défendre eux et notre classe toute entière. Les dirigeants d’entreprises refusent d’investir dans des travaux d’entretien essentiels pour assurer la sécurité de tous, alors ils font un pari dangereux : ça passe ou ça casse. Littéralement. L’effondrement du pont de Gênes en 2018 suite à un défaut de maintenance par des sociétés italiennes en est un triste exemple. La gestion privée des infrastructures est une menace. Ce ne sont pas des accidents, mais des “risques” prémédités que sont prêtes à prendre les entreprises pour faire des économies, au prix de nos vies.


[1] Agence de protection de l’environnement aux États-Unis.

[2] Le phosgène a été utilisé durant la Première Guerre mondiale par la France et l’Allemagne, il est responsable de plus de 100 000 morts gazés et de 80 % des décès causés par les armes chimiques durant ce conflit.

[3] Classification d’établissements industriels présentant un risque technologique.

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